«On Writing», le dernier livre du maître de la littérature fantastique, est un essai sur l’art d’écrire, de survivre à un terrible accident et de raconter sa vie sans trace de complaisance.
Le dernier livre de Stephen King, l’un des auteurs les plus lus dans le monde, est un drôle d’objet. Tout à la fois une biographie, un essai sur l’art d’écrire des romans qui se vendent chacun à des millions d’exemplaires, et la chronique d’un fait divers, une histoire ponctuée de râles, d’hémorragies et de membres broyés, bref un récit qui aurait pu fournir la matière à un best-seller du maître s’il n’en avait été lui-même la victime.
C’est de la faute de Bullet, le rottweiler de Bryan Smith. Alors que son maître conduisait sa camionette sur une petite route de l’Etat du Maine (la Route 5 entre Bethel et Fryeburg, si vous voyez), le molosse s’en est pris au panier de victuailles posé à côté du conducteur. Celui-ci a tenté de repousser le chien, qui n’en a pas démordu, au point que le véhicule a dévié de sa trajectoire avant de heurter un piéton.
Lorsqu’il s’est arrêté, Bryan Smith avait les lunettes ensanglantées de Stephen King sur le siège du passager. Les jambes et le bassin disloqués, le romancier gisait sur le bord de la route après avoir été projeté à cinq mètres de hauteur par la Dodge.
C’était le 19 juin 1999, dans l’après-midi. Stephen King, qui adore marcher en solitaire, faisait alors sa promenade quotidienne. L’auteur doit sa vie à l’ambulancier qui l’a pris en charge. Le secouriste a trouvé les gestes ad hoc, de ceux qui maintiennent un type très grièvement blessé du bon côté du miroir. Après de multiples opérations et quelques kilos d’analgésiques, Stephen King se porte aujourd’hui mieux.
Le romancier a toutefois bouclé son livre avant l’épilogue du fait divers: Bryan Smith, qui avait déjà été condamné à plusieurs reprises pour conduite dangereuse, a récemment été retrouvé mort dans la caravane qui lui tenait lieu de maison.
En juin 1999, au moment de l’accident, Stephen King était déjà immergé dans la rédaction d’«On Writing». L’achèvement de l’essai littéraire s’est accompli dans la douleur. Mais son écriture a remis le blessé en selle, alors qu’il croyait avoir mordu la poussière une fois pour toutes.
«On Writing» est d’autant plus important qu’il est le playdoyer pro domo d’un auteur populaire. D’un créateur qui a longtemps eu honte de ses propres romans, d’un type «au front bas et un peu vulgaire», d’un échalas élevé par sa mère dans la précarité, d’un ex-alcoolique, drogué et fumeur qui a un jour tout laissé tombé parce qu’il ne se rappelait plus avoir écrit «Cujo» et ne voulait pas tomber raide devant son Mac Performa, enfin et surtout d’un écrivain à qui jamais personne ne demandait de conseil sur le sens de la langue, au contraire des incessantes requêtes adressées aux DeLillo, Updike ou Styron.
La principale qualité d’«On Writing» est là, dans la franchise d’un homme conscient de ses limites comme de ses qualités, qui s’est tant acharné sur son art que ses histoires ont fini par fasciner une part appréciable de la population mondiale, Stanley Kubrick compris («The Shining»). Stephen King a la pudeur de taire l’essentiel, qu’il nomme «intuition», soit une imagination et une capacité de travail dignes de Charles Dickens.
Pour lui, pas de secret: pour être lu, il faut d’abord «lire beaucoup et écrire beaucoup», oublier la TV et les rapports sociaux, s’enfermer dans son terrier, ne pas avoir peur, puis foncer. S’en suit une phalange de conseils qui touchent au vocabulaire, à la grammaire, au style, aux dialogues et aux thèmes, aux rythmes et aux paragraphes, à la relecture et à la réécriture, à la présentation des manuscrits comme à la recherche des agents littéraires.
Autant de conseils précieux pour ceux qui aiment ou veulent écrire, autant de clés à des fictions qui vous happent pendant des heures, simplement parce qu’elles sont des fictions fantastiques, au propre comme au figuré.
Je n’entrerai pas dans le détail des conseils. Même pour les piètres anglophones, «On Writing» est d’une lecture facile. Sachez tout de même que, selon Stephen King, les adverbes ainsi que la voie passive ne doivent être utilisés que par les écrivains timorés. Et qu’il existe une formule infaillible: deuxième jet d’un texte = premier jet – 10%.
Si vous n’êtes pas d’accord, dites-lui directement, à l’adresse www. stephenking.com. Ou envoyez une nouvelle, pas plus de 3000 mots, à son éditeur. Le gagnant du concours organisé jusqu’au 31 décembre 2000 pour la sortie d’«On Writing» verra son histoire publiée dans l’édition de poche du même livre, partout dans le monde. Le même gagnant pourra rencontrer le maître en chair et en os, l’une à peine cicatrisée, les autres tout juste recalcifiés.
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«On Writing» Stephen King, paru chez Hodder & Stoughton pour l’édition britannique.
