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Blur, hommage à un groupe phare des années 90

On devrait considérer le rock anglais comme un des beaux-arts. Depuis l’apparition des Beatles, il n’a jamais cessé d’expérimenter de nouvelles formes esthétiques et de remodeler par la même occasion l’éternel britannique – comme on dit «l’éternel féminin».

A la fois libérateur et terriblement codé, le rock anglais a fait bouillonner une culture populaire qui s’exprime autant par la télévision (de «Chapeau Melon» à «Absolutely Fabulous» et toute la BBC) que par la littérature (Hanif Kureishi, Martin Amis) ou l’art contemporain (Damien Hirst, Julian Opie). La Grande-Bretagne est, soit dit en passant, le seul pays européen à héberger une scène culturelle aussi cohérente et vivace.

Aujourd’hui, il est convenu de dire que c’est un quatuor nommé Blur qui porte le mieux l’étendard du rock anglais. Très doué pour les mélodies, mais attentif aux moindres mouvements des avant-gardes, le groupe a réussi à convaincre à la fois l’intelligentsia critique et le grand public. Et ce n’est pas un hasard si ses musiciens ont étudié les beaux-arts.

En six albums, Blur a défini un style très calculé qui puise ses sources du côté des Kinks, de The Jam, des Specials et parfois des Beatles dont il a hérité le goût des harmonies délicates sans en récupérer la gentillesse mièvre. De plus, ses liens avec la scène alternative américaine renouvellent régulièrement son inspiration musicale et conceptuelle. Car Blur, c’est aussi un concept visuel très maîtrisé: certaines de ses vidéos et de ses pochettes sont réalisées par des stars de l’art contemporain comme Damien Hirst, justement (le clip de «Country House») ou Julian Opie, encore lui (la couverture du «Best Of» qui vient de sortir).

Cette compilation, qui réunit les meilleurs singles de Blur depuis ses débuts en 1990, constitue une excellente introduction à l’intention de ceux qui ne connaîtraient pas encore le groupe. Aux autres, il rappellera à quel point ces quatre musiciens ont défini le son des années 90, tant par leurs enregistrements en studio que par leurs concerts (une édition spéciale de ce best-of est accompagnée d’un disque live).

Passage en revue des dix-huit titres qui composent l’album.

1. «Beetlebum»
La référence aux Beatles est assumée dans le titre: ces harmonies électrifiées rappellent le Lennon de la meilleure époque (68-72), sans pour autant sombrer dans la nostalgie. Un démarrage irrésistible.

2. «Song 2».
Un des plus gros succès de Blur, surtout aux Etats-Unis où ce refrain un peu simplet (woo-hoo) est presque devenu un hymne. En concert, l’énergie pop-punk de «Song 2» déclenche régulièrement des émeutes dans les premiers rangs.

3. «There’s No Other Way»
Avec sa mélodie très facilement mémorisable, «There’s No Other Way» est vite devenu un tube (top 10) en Grande-Bretagne en 1991. C’est à cause de ce morceau solaire et psychédélique que Blur, en début de carrière, a été catalogué un peu trop rapidement dans le mouvement baggy aux côtés de groupes comme les Stone Roses et les Charlatans.

4. «The Universal»
C’est le genre de ballade qui pemet au public des stades d’allumer les briquets. Un titre qui plaît davantage aux filles qu’aux garçons.

5. « Coffee and TV »
Signe particulier: cette chanson n’a pas été composée par le chanteur Damon Albarn mais par Graham Coxon, considéré comme le vrai génie musical de Blur. Son style de guitare déglingué, assez proche du post-rock américain, a permis au groupe de se défaire de son image de gentille formation pop. A sa sortie, «Coffee and TV» était accompagné d’une vidéo très réussie et faussement naïve qui racontait l’histoire d’un petit berlingot de lait partant à la recherche d’un enfant disparu.

6. «Parklife»
C’est l’accent cockney de Phil Daniels (l’acteur du film «Quadrophenia») qu’on entend dans cette énumération des clichés de la vie londonienne. Le couplet fait référence aux Audi que conduisent les yuppies de la City (« It’s got nothing to do with the Vorspung durch Technik, y’know »). Un refrain mémorable, les Kinks ne sont pas loin.

7. «End Of A Century»
Sans doute la mélodie la plus accrocheuse jamais composée par Blur. Avec trompette discrète, chœurs aigus et paroles prémonitoires («la fin du siècle, c’est rien de spécial»).

8. «No Distance Left To Run»
Une magnifique chanson, douloureuse et désabusée, sur la fin d’une relation. A l’époque, Damon Albarn venait de rompre d’avec sa compagne Justine Frischmann, chanteuse du groupe Elastica. Ce morceau a été arrangé par William Orbit, producteur vedette du «Ray Of Light» de Madonna.

9. « Tender »
Un titre hybride et interminable, entre le numéro de crooner raté («tender is the night») et le gospel rédempteur, avec claquements de mains en prime. A ceux qui se demandent comment un morceau aussi énervant a pu devenir un tube en Grande-Bretagne, on répondra que, comme d’habitude, c’est la mélodie qui tire les wagons.

10. «Girls and Boys»
Avec ce magnifique morceau paru en 1994, Blur a lancé le revival des années 80: rythme électro-disco, refrain new wave et synthétiseur crachottant. Un hymne aux tourisme de masse et à l’indifférenciation sexuelle qui avait fait l’objet d’un excellent remix par les Pet Shop Boys.

11. «Charmless Man»
L’histoire d’un «homme sans charme» pour une chanson sans charme: refrain infantile, arrangement banal. Une des seules fautes de goût de l’album.

12. «She’s So High»
C’est le premier single de Blur, sorti en 1990, en pleine vague post-psychédélique, avec beaucoup d’echo sur la voix. C’était l’époque du mouvement «Madchester» et des vaches dans les prés.

13. «Country House»
Immense succès pour ce titre paru en 1995, à l’époque où Blur et Oasis, présentés comme les héritiers rivaux des Beatles, faisaient les gros titres de la presse anglaise. Avec «Country House», entré directement à la première place des charts, Blur semblait avoir gagné la partie. Mais peu après, Oasis crevait le plafond du succès commercial et Blur semblait largué. Cinq ans plus tard, Oasis est définitivement décrédibilisé alors que Blur a atteint sa maturité sans rien perdre de son élégance.

14. «To The End»
Une ballade envoûtante, vaguement inspirée du générique d’une aventure de James Bond («You Only Live Twice») et interprétée en duo avec la chanteuse de Stereolab. Pour l’anecdote, le maxi de ce titre proposait une version 100% francophone chantée par Françoise Hardy, grande admiratrice de Blur.

15. «On Your Own»
Ce mélange de britpop et de post-rock, avec gargouillements de synthétiseurs en prime, porte l’empreinte du guitariste Graham Coxon, qui vient de publier un bon album solo («The Golden D»).

16. «This Is A Low»
Une balade dédiée à l’esprit de la couronne, hantée par un refrain mélodramatique. Un peu pompeux mais très efficace.

17. «For Tomorrow»
Ce pur concentré de pop anglaise a été composé par Damon Albarn en hommage aux romans de Martin Amis. La mélodie rappelle un peu les débuts de Bowie. Encore plus british qu’un pot de confiture d’oranges amères marqué du sceau de Queen Elizabeth.

18. «Music Is My Radar»
Le seul morceau inédit de l’album. Un fabuleux mélange de funk froid et de «voodoo jazz», selon le terme consacré. Si le prochain album de Blur est à la hauteur de ce titre, il y a tout lieu de se réjouir: le groupe est encore bon pour une décennie.

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A consulter, le site officiel de Blur.