Cela faisait longtemps que le cinéma suisse ne nous avait pas apporté une si bonne nouvelle. En ce début de siècle, un film 100% zurichois, joué en dialecte, est devenu un véritable phénomène dans les villes alémaniques. Partout où il est passé, «Komiker» a fait le plein et séduit les foules, enregistrant le score de 156’000 entrées, alors que les productions suisses qui dépassent la barre des 100’000 spectateurs restent rarissimes. A Zurich, «Komiker» a tenu l’affiche pendant six mois, de mars à août.
Comment expliquer un tel succès? Il y a d’abord le personnage principal, interprété par Beat Schlatter, acteur très populaire en Suisse alémanique. Cet ancien batteur de Stephan Eicher est devenu une star du comique: il apparaît régulièrement à la télévision (dans l’émission Kassensturz) et dans un cabaret qu’il a co-fondé, le Götterspass (Plaisir des dieux). Son film précédent, «Katzendiebe» (Voleurs de chats), tourné par la même équipe, avait enregistré 120’000 entrées.
Mais la popularité de Beat Schlatter n’explique pas tout. Le succès de «Komiker», qui sortira à la mi-novembre à Genève et Lausanne, tient aussi à son marketing. «Nous avons d’abord fait énormément de publicité et d’avant-premières, explique Hansjörg Beck, distributeur du film. Ensuite, nous avons inondé le marché alémanique avec 34 copies: le film est sorti dans quasiment toutes les villes de grande et moyenne importance. Nous l’avons placé tout autour de Zurich à Kloten, Bulach, Wetzikon, Pfäffikon, dans des salles où, d’habitude, on ne passe que des films américains.»
Autre explication du succès de «Komiker»: le facteur de proximité. «Le film a véritablement circulé sans interruption pendant plusieurs mois de ville moyenne en ville moyenne, en étant toujours bien accueilli, poursuit Hansjörg Beck. Nous avons vraiment joué sur la proximité. J’ai souvent accompagné Beat Schlatter assister à une vision du film, surtout dans la campagne, à Wohlen ou Landquart. Les spectateurs aiment beaucoup le rencontrer, lui poser des questions, lui demander un autographe. Et ils adorent ses blagues.»
«Komiker» raconte l’histoire de Roni Beck, un comique raté frisant la quarantaine. Complètement fauché, il se réfugie chez sa maman, qui l’accueille généreusement dans son lit. Car elle n’a plus qu’un seul lit, celui de la maison de retraite où elle vit – plutôt bien – depuis plusieurs années.
Le fils prodigue est engagé comme aide-soignant par le directeur. Entre deux soins, Roni tente de peaufiner ses numéros de cabaret avec l’aide d’un compère, vieillard de l’hospice qui fume de l’herbe, provoque involontairement des incendies et séduit la mère du comique.
«Komiker» est un film touchant. Sans pathos, il montre la vulnérabilité des personnes âgées autant que leur capacité de résistance, voire de révolte, brossant un tableau plus qu’affectueux du troisième âge. Parallèlement, les affres du créateur sont peintes en demi-teintes avec une bonne dose d’autodérision. Roni, comique malgré lui, est sexuellement encore vierge, mais il prend son mal en patience, sûr d’être sur la bonne voie. Point de misérabilisme.
Pour atteindre un large public, le réalisateur Markus Imboden (qui vient d’ailleurs de tourner une nouvelle version de «Heidi») a privilégié une facture simple qui ressemble furieusement à celle d’un soap-opéra. Il pointe un thème social qui ne laisse pas insensible: le troisième âge.
Enfin, le genre du cabaret est des plus prisés outre-Sarine. Les apparitions de personnalités locales dans leur propre rôle (l’homme de télévision Roger Schawinski, le cabarettiste Franz Hohler, le comique Bernard Thurnheer) ne peuvent qu’amuser, autant que les allusions directes à ce qui nourrit l’actualité alémanique: les Servelat Prominenz et l’UDC (Union démocratique du centre).
Le succès du film était pratiquement programmé. D’autant que le scénario a été réécrit pendant plusieurs mois, jusqu’à ce qu’il corresponde aux attentes du réalisateur et de la productrice.
Reste une inconnue: «Komiker» plaira-t-il aussi au public romand? «Peu probable, reconnaît Hansjörg Beck. Les acteurs ne sont pas connus en Suisse romande et les blagues en dialecte alémanique sont pratiquement intraduisibles. Je n’ai pas grand espoir. C’est pour cela que nous n’osons pas faire de grande sortie, nous nous limitons à Genève et Lausanne.»
——-
«Komiker», de Markus Imboden avec Beat Schlatter, sortie prévue le 15 novembre à Lausanne et Genève.