Dans le préambule d’un ouvrage qui paraît ces jours-ci, la Conseillère fédérale encourage les jeunes homosexuels à faire leur «coming out».
«Dire ouvertement que l’on est gay ou lesbienne, c’est aussi dire que l’on est prêt à assumer une relation amoureuse. Car l’amour, c’est au fond le contraire de la honte, cette honte imposée par la société, et qui enferme des individus dans l’impossibilité de vivre des relations épanouies.»
Cette vibrante déclaration est signée Ruth Dreifuss. Elle provient d’un texte écrit par la Conseillère fédérale en guise de préface à un livre à peine sorti en librairie intitulé «A visage découvert». Le sous-titre de l’ouvrage est plus explicite: «Des jeunes Suisses romands parlent de leur homosexualité».
Publié par le prestigieux éditeur genevois Slatkine, l’ouvrage propose trente témoignages – accompagnés de photos – de jeunes femmes et hommes qui racontent comment ils vivent leur préférence sexuelle. «C’est un livre précurseur, le premier du genre en Suisse romande, souligne son auteur Stéphane Riethauser, coordinateur de la Commission jeunesse et école auprès de l’association homosexuelle Pink Cross. J’espère qu’il deviendra un outil pédagogique, un instrument de dialogue notamment dans les écoles dont les bibliothèques, pour l’instant, ne proposent aucun ouvrage consacré à l’homosexualité.»
Fondateur d’une société destinée à sensibiliser le milieu scolaire à l’homosexualité, Lambda Education, Stéphane Riethauser entend aller lui-même proposer ses témoignages aux écoles. A cet égard, le soutien qu’il a trouvé auprès de Ruth Dreifuss, ministre de l’éducation, est plus que déterminant: il est une véritable caution.
«J’ai également envoyé mon livre aux politiciens et j’ai envie de leur dire: lisez Ruth Dreifuss, prenez vos responsabilités. Son message est clair, j’espère qu’il sera entendu par les directeurs cantonaux d’écoles et qu’ils comprendront qu’il faut calmer les peurs et briser le silence pour sauver les jeunes homos de la marginalisation. Voire de pire: cela me rend malade d’apprendre régulièrement qu’un adolescent gay s’est pendu ou s’est jeté du Pont Bessières.»
Quelles démarches a-t-il entreprises pour obtenir la plume et le soutien de Ruth Dreifuss? «Cela a été tout simple, répond-il en riant. Je lui ai adressé une demande écrite et elle a immédiatement accepté. Elle s’est engagée spontanément et s’est clairement exprimée. Je pense que sa préface contribuera à crédibiliser l’homosexualité et à lutter contre l’homophobie. Les parents d’élèves y verront la preuve qu’il ne tiennent pas entre les mains le livre d’un illuminé.»
En contactant la ministre, Stéphane Riethauser souhaitait obtenir le soutien d’une personnalité romande largement populaire – et, comme il le dit, elles ne sont pas légion. Surtout, pratiquement aucun politicien ne s’engage en faveur des homosexuels. «J’ai entendu le discours de Ruth Dreifuss destiné à la Gay Pride de Fribourg: cela m’a définitivement convaincu de mon choix», ponctue Stéphane Riethauser.
Dans sa préface, la Conseillère fédérale écrit: «Tous les témoignages que l’on découvre dans ce livre le répètent: à un moment il a fallu à chacune, à chacun la détermination de combattre ce qui d’abord a semblé être une condamnation à l’isolement. Témoigner, c’est à la fois faire partager et accepter de partager un destin que l’on sait être commun à beaucoup.»
S’agit-il d’un combat personnel de la ministre? «Madame Dreifuss a toujours eu une certaine sensibilité pour les homosexuels: c’est pour cela qu’elle s’est engagée. Tout simplement», explique sa porte-parole Susanne Auer.
Quant à sa conseillère personnelle, Nicole Greuter, elle précise: «Ruth Dreifuss a une grande sensibilité pour toutes les minorités, pour les gens marginalisés, quelle que soit la raison de cette marginalisation.»
Et c’est justement pour lutter contre la marginalisation que Stéphane Riethauser a écrit «A visage découvert».
«J’ai travaillé pendant une année et j’ai parlé avec 400 personnes pour réunir trente témoignages, confie-t-il. Presque tous les refus que j’ai pu recevoir étaient dus au fait que les témoignages sont accompagnés d’une photo: les jeunes ont encore peur de s’exposer. Faire son coming-out reste un acte risqué: on risque encore de perdre son emploi, l’amour de ses parents, de subir des railleries, des insultes J’espère que mon recueil de témoignages sera compris comme un message d’espoir.»
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Sandrine Wilhelm, journaliste, travaille à Zurich.
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«A visage découvert», de Stéphane Riethauser (éditions Slatkine).
http://www.lambda-education.ch
