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J’ai envie de gifler Ally McBeal

Je sais que je suis en retard, mais je n’ai commencé à regarder Ally McBeal que ces dernières semaines. A force d’entendre parler mon entourage, masculin comme féminin, de cette «irrésistible série», j’ai profité qu’une chaîne suisse rediffuse – en version originale – la dernière saison chaque soir pour me mettre à flot. M6 diffuse la suite dès cette semaine (lire ci-dessous).

Pour ceux qui n’ont pas suivi, Ally McBeal est une avocate trentenaire symbolisant l’héroïne moderne: brillante, qui bosse trop tard, gagne un paquet de fric, s’habille avec des minijupes trop courtes et surtout, vit seule. Chaque épisode s’articule autour d’une affaire judiciaire, mais ce sont les intrigues sentimentales annexes qui passionnent.

Ally a été longtemps amoureuse de Billy qu’elle connaît depuis l’enfance et qu’elle a suivi dans ses études. Le couple a fini par se séparer et Billy s’est ensuite marié avec Georgia, avocate toute aussi brillante qu’Ally. La relation Ally-Billy reste cependant ambiguë (cheveux sombres, réconfortant, Billy rappelle la figure de Big dans «Sex in the city», autre série sentimentalo-féminine). Coïncidence: tout ce petit monde travaille dans le même bureau.

J’avoue être rapidement tombé dans les filets tendus par l’auteur David E. Kelley – mari de Michelle Pfeiffer, juriste de formation, à l’origine de plusieurs séries à succès dont «L.A. Law» («La loi de Los Angeles»), «Chicago Hope» (série hospitalière genre Urgences) et «The Practice». Une construction plaisante s’allie à des absurdités humoristiques – comme ces WC mixtes, lieu central de la série (un Grammy Award en carton pour le psychologue qui a pensé à cet endroit comme «centre de l’intimité»), dans lesquels les intrigues amoureuses se dénouent souvent – et des effets spéciaux bien utilisés: rugissement de tigres quand une fille est en colère, langues qui pendent, yeux qui sortent des orbites, etc.

La palme revient sans contexte à Tracy, l’analyste d’Ally, figure fantasmatique et irréaliste de la psychiatre qui engueule sa patiente, transforme les séances en procès et se met à chanter son propre désespoir en karaoké…

Malgré l’humour et la qualité de l’écriture, il y a quelque chose de gênant à regarder cette pauvre Ally trop maigre se dépatouiller dans son existence. Selon les standards, la jeune avocate a tout pour être heureuse: du succès dans son job, de l’argent, des hommes qui l’admirent, etc. Mais l’héroïne incarnée par Calista Flockhart s’affiche comme une névrosée sur laquelle on n’aimerait pas tomber, ne serait-ce que dans un bus: la pauvre fille n’arrive simplement pas exprimer les choses, sauf peut-être devant une cour de justice.

Elle est indécise au point d’agacer n’importe quel bonhomme bien intentionné, s’emballe dans des discours incompréhensibles, ne cesse de se dévaloriser («Je n’aime rien chez moi»), tout en étant complètement obsédée par elle-même, à s’auto-psychanaliser dans sa tête ou avec ses propres amis.

Plusieurs fois par épisode, on en vient à vouloir gifler l’héroïne pour qu’elle se calme un peu. Les autres personnages ne sont pas plus enviables: aucun couple de la série ne fonctionne et personne ne semble heureux ou équilibré dans sa vie privée.

J’ai cherché à comprendre le succès d’une série qui renvoie pourtant une image désolante du couple et de la femme des années 00, paumée dans une quête impossible vers l’amour et le bonheur. J’ai interrogé quelques amies.

Sophie, 33 ans, un bon poste dans une banque internationale, ne rate pas un seul épisode: «Le portrait de la trentenaire célibataire est extrêmement réaliste. Toutes les femmes traversent une ou plusieurs périodes de doute par rapport au couple et Ally l’illustre à merveille. Par ailleurs, elle est victime d’un système qui l’a rendue ultra-exigeante. Elle se défonce pour réussir sa carrière et semble devoir payer le prix avec sa vie privée malheureuse. C’est un regard cru sur la vie des femmes d’aujourd’hui.»

«Ally est très réelle, ajoute Aline, pharmacienne de 29 ans. C’est pour cela qu’on l’adore. Elle a des problèmes de santé (son alimentation presque anorexique) et n’est pas toujours belle: son nez devient rouge quand elle est triste, elle a les cheveux horribles quand elle se fait plaquer. Ce n’est pas le rêve de «Melrose Place» ou «Beverly Hills» où tout le monde est trop riche et trop beau. Ally pourrait être une voisine de palier. Je ne l’envie pas toujours, mais je me suis attachée à elle car elle traverse les mêmes crises que moi avec les hommes.»

Un signe de force que de se rabaisser, d’intelligence que d’être indécise, de bravoure que de se montrer comme une fille facile. Faut-il regretter la mort du girl-power? Fragile, Ally McBeal en devient si attachante… Mercredi soir, j’ai rendez-vous.

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Mercredi soir sur M6, deux épisodes à la suite dès 22h45.
Le livre sur David E. Kelley, l’homme derrière Ally McBeal.
La première saison en vidéo.
La musique de la série
Enfin, le site officiel.