CULTURE

En trahissant ses amis, Rich est devenu riche et célèbre

Les candidats américains ont vite compris que Survivor était moins un jeu de survie qu’une affaire de politique. Machiavélisme et manipulation: un phénomène télévisuel sans précédent aux Etats-Unis.

Richard Hatch est rentré riche et célèbre dans sa petite ville de Middletown: il vient de gagner un million de dollars à l’émission Survivor. Ce reality show produit par la chaîne CBS constitue un phénomène télévisuel sans précédent aux Etats-Unis.

Plus de 50 millions d’Américains se sont réunis devant leur poste pour regarder la finale la semaine dernière, soit une audience supérieure au fameux Superbowl qui bat pourtant chaque année des records.

En quelques semaines, Richard Hatch est devenu «l’infâme Rich» et a remplacé le JR de Dallas dans le rôle de «l’homme que l’Amérique adore détester». Les médias commencent à s’intéresser à son passé. On vient ainsi d’apprendre qu’il était poursuivi par la justice pour avoir violenté son fils adoptif âgé de 10 ans qui avait refusé de le suivre pour un jogging à 4h30 du matin (il lui aurait «tiré les oreilles» et l’aurait «secoué» en l’«encerclant par la nuque», avait rapporté un témoin).

Hatch, qui a toujours nié ces accusations, peut désormais savourer pleinement sa victoire: un tribunal vient de lever cette semaine toutes les charges contre lui, réalimentant l’idée – populaire aux Etats-Unis – que la justice fonctionne de manière plus clémente quand on a les poches pleines de dollars.

Hatch est devenu un drôle de symbole pour l’Amérique télévore. Sa victoire à Survivor, il la doit au machiavélisme de sa personnalité et aux alliances subtiles qu’il a réussi à nouer avec les autres joueurs.

Le principe du jeu est darwinien: seize participants sont débarqués sur une plage au large de Bornéo. Ils font des courses d’obstacles dans la jungle, des concours de natation… Ils vivent en vase clos, avec peu de nourriture. Et s’ils dévorent des rats et des insectes devant les caméras, c’est toujours bon pour l’audience.

A la fin de chaque épisode, un «conseil de tribu» élimine un candidat, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un. Ultime perversion, les finalistes sont départagés par les candidats qu’ils ont eux-mêmes écartés. Il s’agit donc, pour gagner, de créer des alliances avec quelques autres candidats, puis de les faire éliminer, tout en restant bons amis. Un scénario qui favorise les esprits les plus retors, curieuse leçon de civisme.

Les téléspectateurs suisses alémaniques ont pu suivre un jeu similaire l’année dernière déjà. On doit le concept de Survivor à des producteurs suédois, qui en ont revendu les droits à différentes chaînes européennes.

En Suisse, c’est la chaîne privée TV3 (co-entreprise de l’éditeur TA-Media et du groupe international SBS) squi les a acquis. Deux Expeditions Robinson (c’est le nom du show) ont déjà été diffusées. Elles ont obtenu un honnête succès, devenant l’émission-phare d’une chaîne qui réalise un petit 4% d’audience en moyenne.

Dans la version suisse, le gagnant empoche la somme ridicule de 100’000 francs (400’000 francs français). CBS offre un million de dollars…

Les candidats américains ont immédiatement compris que Survivor était moins un jeu de survie qu’une affaire de politique. Pragmatiques, quatre d’entre eux ont passé une alliance afin d’éliminer tous les autres. C’était une idée de «Rich l’infâme», surnommé par le magazine Time le «Raspoutine des plages».

Le suspense est devenu parfaitement insoutenable quand les membres de l’alliance se sont retrouvés seuls sur l’île. Pour lever toute ambiguïté, Rich a annoncé à la caméra qu’il s’apprêtait à trahir ses alliés… En intellectuels, les Européens n’ont jamais osé recourir à un tel procédé dans leur version du jeu.

Manipulateur et sournois, «Rich l’infâme» s’est vite imposé comme la personnalité marquante du groupe. Il a défrayé la chronique par son obstination à se montrer dans le plus simple appareil – ce qui est devenu un sujet récurrent au conseil de tribu.

«Rudy le hargneux» l’a traité de «pédé qui se balade à poil la moitié du temps». Lors du jeu, Rich n’avait pas fait mystère de son homosexualité, ce qui lui a valu le soutien de la communauté gay. Il reçoit maintenant des propositions de mariage de la part d’hommes et de femmes, mais aussi des messages qui lui souhaitent une mort prochaine.

Les sites Internet dédiés à l’un ou l’autre des Survivors pullulent et la plupart des participants ont fait appel à des agents pour gérer leur carrière médiatique. «Sean le docteur» en a pris trois. Il a décroché un rôle de médecin dans une série TV et assurera une chronique médicale pour un magazine.

«Gretchen la vaillante» va apparaître dans un sitcom. Stacey et BB ont tourné de spots publicitaires pour Reebok. La belle Colleen a refusé les 100’000 dollars que lui proposait Playboy pour poser nue, tandis que Jenna hésite encore.

Vexée de ne pas avoir reçu de tel offre, «Sue la tueuse» s’est justifiée dans Time: «C’est parce que j’ai des tatouages. De toute façon, le magazine Hustler paie mieux…»

CBS prépare déjà la prochaine édition de Survivor, qui sera tournée en Australie et diffusée à l’antenne dès le 16 janvier – après le Superbowl.

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P.S. Le mercredi 30 août, la chaîne française TF1 a annoncé qu’elle s’apprêtait à organiser sa propre version du jeu Survivor, qui sera diffusée dans le courant de l’année 2001.