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Les robots, ces voleurs de travail

La quatrième révolution industrielle aura des conséquences désastreuses sur l’emploi. A moins que les gouvernements ne s’emparent de la question.

Je reviens d’un voyage dans le futur. Du moins, cela y ressemblait fortement. J’ai suivi un robot hors de son laboratoire, dans les rues de Greenwich qu’il cartographiait en vue de son futur travail: bientôt, il ira chercher des plats dans des restaurants de manière autonome pour les livrer au domicile des clients. Conçu par la société Starship Technologies, à Tallinn, en Estonie, le robot est une glacière noir et blanc montée sur six roues. Pour récupérer leur pizza ou leurs sushis, les clients n’auront plus qu’à soulever son couvercle via une application d’authentification.

J’ai été fasciné aussi bien par les réactions des gens que par celles du robot, qui s’arrêtait aux passages piétons, laissait passer les voitures et se décalait poliment sur le trottoir. Les adultes semblaient méfiants, tandis que les enfants et les jeunes n’étaient pas le moins du monde étonnés et le saluaient gaiement, comme si WALL-E leur apportait leur dîner, tout simplement.

Outre des essais à Londres et Tallinn, Starship teste aussi ses machines auprès de sociétés de livraison à Berne, Düsseldorf et Hambourg. Mais, aussi fascinant soit-il, ce petit robot risque de mettre à la porte de nombreux livreurs. Ce travailleur sans salaire et disponible en permanence présente un attrait incontestable pour les entreprises de livraison de courses ou de repas et pourrait avoir des effets considérables.

Et Starship n’est de loin pas la seule entreprise active dans ce créneau. En Asie, des robots livrent les commandes de room-service dans certains hôtels, sonnant le glas de nombreux emplois. Parallèlement, l’épicier en ligne Ocado Technology de Cracovie, en Pologne, et l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne codéveloppent, avec des financements européens, un robot humanoïde appelé «Secondhands»: un agent d’entretien intelligent, habile et bien sûr infatigable.

Des millions d’emplois

Quel impact cette tendance aura-t-elle sur les emplois? Des organisations non gouvernementales, des sociétés de conseil et des institutions financières ont produit des rapports alarmants sur le risque de destruction de millions d’emplois dans les décennies à venir du fait de l’automatisation reposant sur l’intelligence artificielle (IA).

PricewaterhouseCoopers (PwC), par exemple, estime qu’en Allemagne, 35% des postes pourraient être remplacés par des algorithmes d’IA, des robots et des systèmes automatisés d’ici au début des années 2030. Aux Etats-Unis, 38% des emplois seraient touchés, au Royaume-Uni 30% et au Japon 21%. Toutefois, PwC explique que, plutôt que de disparaître, ces emplois devraient évoluer, car il est encore difficile de savoir quelle trajectoire suivra l’IA. Personne n’est en mesure d’affirmer ce qu’elle sera capable d’accomplir dans six mois, et encore moins dans dix ans.

Dans les régions dépendant fortement d’une industrie manufacturière à bas salaires, comme l’Asie, l’automatisation risque d’avoir des conséquences encore plus graves, avec quelque 50 millions d’emplois menacés d’ici à vingt ans, d’après une étude d’UBS. La Chine sera la plus durement touchée, encaissant 15 millions de ces pertes à elle seule. UBS explique qu’il faudra développer un secteur tertiaire solide où l’humain aurait toute sa place. C’est précisément ce que font Singapour, Hong Kong et l’Inde. «Les Etats devraient se concentrer davantage sur les métiers qui demandent un haut niveau de personnalisation, de créativité et un savoir-faire», explique l’analyste d’UBS, Sundeep Gantori.

Nouveaux emplois

Les révolutions industrielles ne sont pas nouvelles. La première, la révolution mécanique, a été déclenchée par l’invention de la machine à vapeur par James Watt. Ont suivi celle de l’électricité avec les appareils électriques de Nikola Tesla et Thomas Edison, et la révolution numérique avec les calculateurs électroniques de Konrad Zuse, John von Neumann et Alan Turing.

Chacune de ces évolutions technologiques a influé à sa manière sur le travail, mais elles ont toutes créé de nouveaux emplois. En 2015, Deloitte a étudié 144 années de données sur l’emploi et en a conclu qu’au fil du temps, plus de gens finissaient par exercer de nouveaux métiers, car les machines avaient pris la place de nombreuses professions. Les ordinateurs ont ainsi évincé les machines à écrire et par la même occasion les dactylos, mais ils ont aussi donné naissance à de nouveaux emplois dans l’écriture de logiciels, les services de dépannage informatique ou encore la sécurité informatique.

La somme des parties

Cependant, dans le cas de la quatrième révolution industrielle, les capacités technologiques semblables à celles du cerveau humain changent la donne. L’Industrie 4.0 couvre de nombreuses technologies: l’IA, l’apprentissage automatique, la robotique, la connectivité mondiale, le cloud computing et l’Internet des objets. La somme de toutes ces technologies, dont l’IA est le pilier, permet aux machines d’apprendre pour se perfectionner en permanence.

Si les PC avaient été capables d’apprendre à résoudre leurs problèmes eux-mêmes et à détruire les programmes malveillants, les services informatiques et les éditeurs d’antivirus n’auraient peut-être jamais vu le jour. Les systèmes d’autoapprentissage pourraient non seulement détruire un grand nombre d’emplois, mais aussi réduire considérablement le rôle des humains dans l’invention et l’amélioration des technologies.

Dans son ouvrage La quatrième révolution industrielle, le fondateur du World Economic Forum (WEF), Klaus Schwab, prévient que les Etats ne peuvent pas rester les bras croisés face aux effets de l’Industrie 4.0. Ils doivent réguler les nouvelles technologies pour en tirer les avantages sans que cela crée des inégalités importantes ou fragmente la société.

Gunter Bombaerts, professeur assistant en philosophie et éthique des technologies à l’Eindhoven University of Technology, estime qu’entreprises, travailleurs, clients, actionnaires et régulateurs sont face à une opportunité sans précédent pour améliorer la qualité de vie de chacun, à condition de la saisir. L’automatisation pourrait réduire le nombre d’emplois dont personne ne veut. Il va donc falloir réorganiser le travail de manière qualitative et répartir les richesses, ajoute-t-il.

Les gouvernements avancent à l’aveugle

Toutefois, aucune des recommandations de Gunter Bombaerts et de Klaus Schwab ne semble avoir été suivie jusqu’à présent. Plutôt que de se préparer aux bouleversements sociaux que provoquera le chômage de masse dû à l’IA, les gouvernements alimentent le problème en investissant toujours plus dans la recherche et le développement sur l’IA de peur d’être dépassés par d’autres nations dans la course à la technologie. De nombreux pays développés investissent par exemple à tour de bras dans la recherche sur les véhicules autonomes.

Mais qu’adviendra-t-il des chauffeurs routiers et de taxis? Combien d’entre eux perdront leur emploi? Le système de protection sociale pourra-t-il y faire face? Comme la revue scientifique Nature l’indique, compte tenu du manque d’informations sur les répercussions de l’IA sur l’emploi, nos dirigeants «se jettent à l’aveugle dans la nouvelle révolution industrielle». Pendant que nos élus et leaders économiques appliquent la politique de l’autruche, les technologies de l’Industrie 4.0 prolifèrent à toute allure.

Chez Airbus, des ingénieurs imaginent un nombre impressionnant de techniques pour les usines aéronautiques du futur. Muni d’un casque de réalité augmentée, il est possible de «voir», sur 100 machines, quel ordinateur a été infecté par un virus ou touché par un bug logiciel, et ainsi de le désactiver immédiatement d’un simple geste.

En même temps, Adolfo Suarez Roos, coordinateur en robotique de l’entreprise, explique qu’Airbus développe des robots humanoïdes capables de réaliser des tâches de production extrêmement répétitives pour lesquelles les «humains n’apportent aucune valeur ajoutée», mais aussi de faire preuve d’autonomie et de gérer des situations inattendues. Et ce n’est pas simple. C’est pourquoi le géant de l’ingénierie basé en Suisse ABB a investi dans Vicarious, une start-up spécialisée dans l’IA qui vise à donner à ses robots industriels des capacités en matière de «vision, langage et contrôle moteur de niveau humain». Pour aider les humains, les robots doivent présenter au moins certaines de leurs aptitudes.

Agence d’intérim pour robots

Du moins pour les emplois qualifiés. Plus inquiétant encore, les robots sont désormais aussi destinés à occuper les postes non qualifiés et temporaires qui forment l’économie à la demande (ou gig economy), pourtant porteuse d’espoir pour l’emploi humain encore récemment. Ce type d’emplois flexibles est exercé par des intérimaires, qui emballent, trient des produits ou assurent le contrôle qualité sur les lignes de production, par exemple.

La société Smart Robotics, située à Eindhoven, est la première à avoir créé une agence d’intérim pour robots dont le but est de supplanter les humains dans les emplois de la gig economy. Smart Robotics louera ponctuellement des robots modulaires et reconfigurables à des entreprises pour leur permettre d’effectuer certaines tâches, notamment de tri, d’emballage et d’inspection des produits, avant de les rendre une fois le travail terminé.

Dans le train quittant Greenwich — de retour de ma sortie avec le livreur de Starship — , j’ai réalisé que si les petits boulots de la gig economy sont voués à la robotisation, et que le travail du livreur de pizzas l’est aussi, rien ni personne ne pourra échapper à l’Industrie 4.0. Le train était bien sûr sans conducteur…
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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 13).

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