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Protéomique: la Suisse à la pointe d’une nouvelle révolution scientifique

Protéomique? Peut-être découvrez-vous ici pour la première fois ce néologisme appelé à prendre la succession de la génomique, certes encore omniprésente, mais peut-être plus pour longtemps.

L’enjeu: guérir de nombreuses maladies et allonger sensiblement l’espérance de vie. Non plus avec des substances chimiques traditionnelles, mais avec ces constituants du vivant que sont les protéines (substances complexes constituées par l’association d’acides aminés et indispensable à tous les organismes vivants).

Depuis quelques années, le séquençage de nombreux gènes et le décryptage du génome humain ont conduit à l’émergence des concepts de protéome, puis de protéomique. Le protéome désigne l’ensemble des protéines exprimées par un génome à un moment précis en réponse à un environnement donné. La protéomique, science jeune, identifie de nouvelles protéines pour en comprendre la fonction et l’importance en pathologie afin de concevoir de nouveaux traitements.

Selon la très sérieuse revue Nature (vol. 402, 16.12.99), cette discipline émergente s’apprêterait même à évincer la génomique.

L’explication est peut-être à chercher du côté du sida et de la maladie de la vache folle. Ces deux affections ont induit une certaine désillusion en matière de thérapie génique. La séquence du principal virus du sida a été établie en 1985 et quinze ans plus tard, la clé n’a toujours pas été trouvée. Idem pour la mucoviscidose. Autre illustration des limites actuelles de la génétique: la maladie de la vache folle, qui est provoquée par une protéine (le prion) dont l’action ne peut cependant pas s’expliquer par les gènes.

Génomique et protéomique sont des domaines de recherche complémentaires. Pour que la génomique dispense l’ensemble de ses potentiels, il est logique de s’attaquer à l’identification des protéines.

En effet, les gènes s’acquittent de leurs fonctions cellulaires par les protéines, en les encodant. Un organisme ne renferme qu’un seul ensemble d’instructions génétiques, mais l’expression de ces instructions par une série de protéines varie selon les tissus, et même dans un même tissu dans des conditions différentes. Un univers extrêment complexe qu’il s’agit de défricher.

L’Université de Genève a acquis une réputation d’excellence internationale dans ce domaine grâce au professeur Denis Hochstrasser et à son équipe. Son Département de biochimie médicale occupe une place de leader dans le séquençage et l’identification des protéines.

D’ailleurs, le terme de protéome, aujourd’hui internationalement utilisé, a été inventé par Marc Wilkins alors membre de l’équipe du professeur Hochstrasser. Ce type de recherche fait appel à de nouveaux outils technologiques et bioinformatiques extrêmement pointus. Or l’équipe genevoise a développé un scanner moléculaire très performant pour révéler la « signature » des protéines.

L’avance suisse dans ce domaine est imputable également à l’Institut suisse de bioinformatique, créé en 1998. II a développé la plus grande banque de données de protéines appelée SWISS PROT qui contient des informations sur plus de 85’000 protéines et est consultée par plus de 200’000 chercheurs.

C’est en « pole position » que la Suisse entame ce que certains n’hésitent pas à qualifier de « deuxième révolution scientifique ». D’autant que du côté de l’industrie privée, on a flairé l’ampleur du marché potentiel.

Les protéines livreront-elles les médicaments du futur? Les millions actuellement investis dans ce secteur de la recherche attestent d’un tel pari. Un exemple: l’entreprise de biotechnologie Cytos, installée à Schlieren (canton de Zurich), a mis au point un procédé baptisé DELphi qui permet de tester l’éventuel effet thérapeutique de protéines.

Cotée au SWX New Market, elle vient de réunir 50 millions de francs suisses (environ 200 millions de francs français) pour les mettre à la disposition de ses chasseurs de protéines. Parmi eux, le prix Nobel Rolf Zinkernagel. Son projet: modifier le système immunitaire de façon à lui faire produire des anticorps (protéines) destinés à lutter contre les cellules tumorales. Bref, ni plus ni moins que le vaccin contre le cancer.

Vous l’aurez compris, les protéines devraient déclencher le prochain pas innovatif dans le traitement des maladies les plus diverses. Les premiers résultats commencent à arriver. Après des succès avec l’insuline et l’hormone de croissance, nous apprenions la semaine dernière que des chercheurs canadiens avaient découvert une protéine contre le cancer du colon (p110g) efficace chez la souris. Et chez l’homme?

Les articles de la presse spécialisée sont tous extrêmement optimistes. Je n’y ai pas trouvé trace d’un questionnement sur les effets secondaires possibles de ce type de traitement. Or les venins (protéines) d’abeille ou de serpent peuvent déclencher des réactions mortelles… Et le débat bioéthique, sur quelles conclusions débouchera-t-il? Quelques nuages pourraient bien voiler le ciel radieux décrit par les biologistes.