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Le Rubicon, c’est tout con

L’alliance de la Vert’libérale Isabelle Chevalley avec l’UDC pour le Conseil d’Etat fait jaser fort. Et étonnera surtout les naïfs et les hypocrites.

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N’est pas Dupont-Aignan qui veut. Franchir le Rubicon, cela s’apprend, se travaille. Il faut rester tapi des années dans l’ombre, attendre son heure, envoyer quelques signes discrets, quasi cryptés, mais qui finissent par former un message lisible. Puis enfin passer tranquillement à l’ennemi avec aplomb, reniement et bagages. Se ranger tête haute du côté obscur de la force.

Dupont, on le voyait venir de loin. Isabelle Chevalley faisant liste commune avec l’UDC, elle, la Vert’libérale, c’est autre chose. Moins prévisible, l’onde de choc en est d’autant plus grande, à la modeste et feutrée échelle vaudoise, s’entend. Libérale, cela pourrait encore passer: tous les démocrates dits du centre ne le sont pas, mais un bon nombre quand même, et d’abord le père fondateur.

Mais s’afficher comme verte, même libérale, avec un candidat UDC, ce n’est plus du grand écart, c’est du saut à l’élastique. Autant vouloir, escargot, courir un cent mètres olympique ou, pyromane, participer au bal des pompiers.

Pas étonnant donc si l’alliance d’Isabelle Chevalley avec l’UDC Jacques Nicolet pour le deuxième tour de l’élection au Conseil d’État vaudois déclenche ires, sarcasmes, anathèmes et noms d’oiseaux. Ce ne sont plus que «baiser du diable», «masques qui tombent», «mariage de la carpe et du lapin». Le président du parti socialiste suisse Christian Levrat opère la synthèse dans un tweet qui se veut assassin et qui rajoute aux reproches d’infamie l’accusation de bêtise crasse: «Leçon française et… vaudoise: Dupont-Aignan avec Le Pen, Chevalley avec Nicolet: Quand l’ego passe avant le cerveau.»

Le camarade en chef ne pouvait sans doute pas faire moins. Ce ticket, béni par les Machiavel de la 25e heure du parti radical, qui avaient courageusement pour le 1er tour préféré l’alliance avec Nicolet plutôt qu’avec Chevalley, est en effet de nature à mettre en danger la majorité de gauche au gouvernement vaudois.

A tous les chevaliers blancs de chez blanc et même de Vers-chez-les-Blancs, on pourra faire remarquer qu’il est assez facile de distribuer des bons points et des diplômes de bonnes mœurs et moralité lorsque l’on n’est pas soi-même en position d’être tenté. Que non seulement ceux qui n’ont jamais péché lance la première pierre, mais aussi surtout ceux qui aimeraient pécher et n’en ont pas les moyens, n’étant pas en situation d’accéder au Conseil d’Etat contre un plat de lentilles.

Cela dit, les justifications données par la candidate elle-même ne la grandissent pas. Elle qui semble vouloir repeindre illico la façade, espérant qu’on ne voit plus la crasse, la suie ni les fissures. Tenter un tour de bonneteau ou, comme dirait Christian Constantin, essayer de nous vendre la lune habitée. Bref, nous convaincre que l’UDC vaudoise est d’abord complètement vaudoise, avant d’être un tout petit peu, oh à peine, UDC. «Köppel, ce n’est pas l’UDC vaudoise avec laquelle nous partageons les valeurs de la terre.» Ou encore: «Nous sommes un parti de centre droit qui s’allie avec d’autres partis du centre droit, je ne vois pas où est l’erreur.» Et d’enfoncer le clou rouillé: «L’UDC Vaud se trouve tout à fait au centre droit, oui.»

Bref, l’UDC est un machin sympathique quand ça arrange, quitte à la diaboliser à nouveau le jour où d’autres mariages d’intérêt seront conclus. En oubliant que, si proches de la terre qu’ils puissent être, si Vaudois qu’ils puissent sembler, si centristes qu’on les imagine, tous ces membres honorables de l’UDC vaudoise n’ont semble-t-il pas démissionné, pas coupé les ponts, ni même simplement dénoncé la ligne köppelo-blochérienne de l’UDC Suisse à laquelle ils sont bien contents d’appartenir. Surtout quand il s’agit de surfer sur la vague électoralement payante du populisme et de la xénophobie.

On n’a pas non plus entendu que le gentil conseiller national Jacques Nicolet ait refusé de siéger dans le même groupe parlementaire que le méchant Köppel. Mais comme le dit, longue cuiller en main, la candidate vert’libérale: «Il faut passer par des alliances pour arriver à ce que l’on veut.» Comme ça, c’est nettement plus clair.