LATITUDES

Un parfum Chanel s’échappait des jardins de Lausanne

C’est en visitant, déçue, l’expo «Jardins 2000» que j’ai découvert par hasard les traces de deux Français illustres. Délicieuse surprise! J’ignorais que Mademoiselle Chanel se trouvait dans le canton de Vaud.

Que deviennent les «Jardins 2000»? A son ouverture en juin, cette installation paysagère lausannoise avait bénéficié d’un tapage médiatique exceptionnel. Et depuis, c’est le silence. Le charme est-il au rendez-vous cette année, comme lors de la précédente édition? Les visiteurs s’y ruent-ils? Les fleurs ont-elles supporté les pluies de juillet et les chaleurs d’août?

Privée d’informations, je suis allée les cueillir moi-même. Et c’est la déception.

Je commence ma visite sur l’esplanade de Montbenon où une jetée a été installée. Trop timide, la jetée! J’aurais tant souhaité dépasser, ne serait-ce que de quelques centimètres symboliques, la façade de l’immeuble! C’est si bon, un petit coup de vertige…

«Rêves», «Quo Vadis», «Round Up»… Je reste sur ma faim. Le Jardin de Deukalion ne me transporte pas vraiment, celui des Nolfs pas davantage. Je décide de prendre le métro jusqu’au cimetière du Bois-de-Vaux où se trouvent d’autres étapes de l’expo.

Mais que diable suis-je venue faire ici, à midi, par cette chaleur? Voir des moutons assoupis ou «le champ de repos»? Au repos, j’y aspire, mais pas sous cette forme définitive… Ma balade prend des allures de parcours du combattant.

A l’horizon, un jardinier vient de poser la plus attrayante des installations: un arroseur tournant. Quel délice que cette légère douche surmontée du plus beau des bouquets! Un arc-en ciel!

Rafraîchie, je ne vais pas tarder à l’être, au sens figuré cette fois. A grands pas, j’arpente «La présence de l’absence» et le «Délice de l’absence», deux œuvres installées dans ce cimetière. La récupération de ces anciennes pierres tombales me dérange. Et puis, cette musique est-elle de mise?

Je suis fatiguée par ces démarches intellectuelles qui me dépassent… mais voici que le hasard me prend par la main. Un irrésistible besoin de quitter l’artifice s’empare de moi. Je décide d’aller me recueillir du côté des «vraies» sépultures – que le public de cet été néglige au profit des «Jardins 2000».

Quelques marches et, stupéfaite, je me retrouve en face de Paul Robert (1910-1980), lexicographe. Une épitaphe: «Je le ferais encor, si j’avais à le faire». Quel choc! Qu’aurais-je fait s’il ne l’avait pas fait, son Petit Robert? En permanence sur mon bureau, il est mon indispensable compagnon de travail.

Son auteur gît donc ici, lui dont son ami Bernard Clavel disait: «Beaucoup mieux qu’une statue, le plus grand, le plus beau, le plus solide des monuments parce que le plus humble: un nom commun. Il est des gens qui dépensent une fortune pour acheter une particule, d’autres qui luttent avec acharnement pour conquérir une majuscule, Paul Robert a travaillé toute sa vie pour perdre son prénom et sa majuscule. Quoi de plus étonnant que cet homme qui devient le Robert, puis un dictionnaire, puis le dictionnaire?» Songeuse, je fais quelques pas et…

Le plus beau jardin de Lausanne est là. Quatre mètres carré de bégonias blancs. Autour, une haie-alcôve, à gauche, un petit banc de pierre qui nous permet de devenir les hôtes de celle qui se disait petite couturière. Ceux qui croyaient la connaître l’appelaient Coco et ceux qui l’admiraient Mademoiselle. Gabrielle Chanel (1883-1971) repose ici.

Quelle classe! Par le biais de sa dernière demeure, elle continue à donner des leçons de modestie. Aucun signe tapageur, rien d’ostentatoire. Un simple carré blanc. J’interroge la jardinière chargée de son entretien. Elle ignore si c’était là le souhait de Mademoiselle. «Les fleurs sont toujours blanches. C’est les Français qui le demandent et qui s’en occupent», répond-elle.

Assise sur le banc, je vois défiler des «petites robes noires», des tailleurs racés, des élégants sacs matelassés, des ceintures dorées… Curieux: des bégonias monte une odeur de rose de mai de Grasse. Le No 5. Je suis en plein jardin d’Eden.

Un peu plus tard, j’apprendrai que Gabrielle Chanel a longtemps vécu à Lausanne, dans une villa de Sauvabelin et au Palace. Qu’elle fréquentait les restaurants de la Bossette et de la Pomme de pin. Qu’elle achetait ses ampoules de Sédol à la pharmacie du Grand Chêne.

La mort l’a saisie à 87 ans, le 11 janvier 1971 dans sa mansarde du Ritz, après une promenade au champ de courses de Longchamp. Son corps a été amené à Lausanne où, selon sa volonté, Gabrielle Chanel été enterrée.

Merci aux «Jardins 2000» d’avoir suscité cette découverte fortuite.