KAPITAL

L’horlogerie, mangeuse de stars

De Clooney à Kidman, en passant par Beckham ou Wawrinka, toutes les personnalités sont associées à des marques horlogères. Les racines de cette pratique sont très anciennes mais, avec les années, elle s’est généralisée dans tout un segment de l’industrie.

George Clooney ne sort plus sans son Omega au poignet depuis que l’acteur américain est devenu, en 2007, égérie de la manufacture horlogère biennoise. Son modèle préféré? Le chronographe Speedmaster ’57. George Clooney n’est pas la seule star à promouvoir la marque du groupe Swatch: Omega compte également dans ses ambassadeurs Nicole Kidman ainsi que Daniel Craig, l’acteur incarnant James Bond. L’égérie la plus ancienne de la marque est Cindy Crawford: le top-modèle américain est sous contrat avec la marque depuis plus de vingt ans.

Certaines manufactures misent également sur les sportifs célèbres. C’est notamment le cas d’Audemars Piguet, qui compte parmi ses égéries Stanislas Wawrinka. Le joueur de tennis est devenu ambassadeur de la marque en 2014, quelques mois avant qu’il ne remporte la Coupe Davis avec Roger Federer. Plusieurs golfeurs font aussi partie de la famille d’ambassadeurs de la maison installée dans la vallée de Joux, tels que le Suédois Henrik Stenson, le Britannique Danny Willett ou encore l’Espagnol Miguel Ángel Jiménez. Breitling a également choisi un sportif pour l’incarner: le joueur de football David Beckham a été pendant plusieurs années le visage de la collection de chronographes Breitling for Bentley. Aujourd’hui, l’ambassadeur principal de la marque jurassienne est l’acteur et pilote John Travolta.

«Les égéries doivent transmettre les valeurs fondamentales d’une marque», explique François Courvoisier, professeur et Doyen de l’Institut du marketing horloger à la Haute école de gestion Arc de Neuchâtel. L’auteur du livre L’horlogerie et ses ambassadeurs (Editions LEP) cite notamment l’excellence, la maîtrise technique, ou encore la concentration. «TAG Heuer avait par exemple lancé une campagne publicitaire intitulée ‘Don’t crack under pressure’ mettant en scène des sportifs tels que le joueur de football Cristiano Ronaldo ou la tenniswoman Maria Sharapova. Le but était de promouvoir les performances de la marque, notamment en matière de précision.» François Courvoisier estime également que la mission de l’ambassadeur consiste à «rendre la marque sympathique auprès du public. Un transfert d’image doit s’opérer pour que les (futurs) clients puissent s’y identifier.»

Egéries malgré elles

Chez TAG Heuer, on choisit ses ambassadeurs selon la relation qu’ils entretiennent avec la marque. «Une égérie ne représente pas seulement un business, indique Jean-Claude Biver. La relation humaine est au moins aussi importante que le rapport professionnel.» Le CEO de TAG Heuer, également président de la Division Montres du groupe LVMH, est considéré comme un de ceux qui ont massivement développé le recours aux ambassadeurs. D’autres marques choisissent leurs égéries en fonction de leur proximité identitaire avec elles. La maison Longines, dont le slogan est «Elegance is an attitude», a par exemple opté pour l’acteur australien Simon Baker, qui correspondait à cette exigence.

Quid du montant que reçoivent les stars en échange? «C’est un des secrets les mieux gardés par les marques, répond François Courvoisier. Mais les sommes sont évidemment importantes.»

Certaines personnalités ne sont pas directement choisies, mais deviennent «égéries» malgré elles. C’est notamment le cas des politiciens. Bill Clinton est, depuis qu’il a quitté ses fonctions en 2001, un grand collectionneur. Il possède, entre autres, une Panerai Luminor 1950 et une Jaeger-LeCoultre Master Compressor Diving Alarm Navy SEALs. Selon une rumeur, sa collection compte près de 50 modèles. John F. Kennedy aimait lui aussi les montres. L’été précédant son élection, en 1960, son ami et sénateur de Floride Grant Stockdale lui a offert une Omega Ultra Thin en or 18 carats.

L’inscription «President of the United States John F. Kennedy from his friend Grant» sur son dos était prémonitoire: l’ancien président la portera à son investiture l’année suivante. Ce modèle unique et historique est aujourd’hui exposé dans le musée Omega à Bienne. La marque utilise aujourd’hui John F. Kennedy pour représenter sa Speedmaster, seule montre officiellement portée sur la Lune. Le président américain avait lancé le programme spatial Apollo en 1961. A l’image d’Omega, certaines marques optent en effet pour des personnalités décédées. La raison? «Les égéries représentent toujours un risque pour les marques, remarque François Courvoisier. Les sportifs peuvent réaliser de mauvais résultats, tandis que les personnalités culturelles ne sont pas à l’abri d’un dérapage dans la presse.»

Breguet précurseur

«Les premières égéries des marques horlogères étaient les horlogers eux-mêmes, rappelle François Courvoisier. Au XVIIIe siècle, Abraham-Louis Breguet (1747-1823) fabriquait ses pièces tout en s’occupant également de les vendre.» Dès la fin du siècle, alors établi à Paris, l’horloger suisse est le fournisseur des plus grands souverains d’Europe. Ces derniers deviennent alors des «ambassadeurs indirects» de la maison Breguet. Les montres de poche d’Abraham-Louis Breguet, plus simples et plus modernes que celles qu’on fabriquait à l’époque, sont notamment appréciées par le roi Louis XVI et la reine Marie-Antoinette. Cette dernière vouait aux montres Breguet une véritable passion. En 1783, un mystérieux admirateur commande à Breguet «la montre la plus spectaculaire possible». Il voulait en faire cadeau à la reine. Mais elle n’aura jamais l’occasion d’admirer la Grande Complication n° 1160, dite «Marie-Antoinette», qui ne sera terminée qu’en 1827, soit trente-quatre ans après sa mort… et quarante-quatre ans après la commande!

Lors de la Révolution française, Abraham-Louis Breguet revient en Suisse et invente notamment le «spiral Breguet», la première pendulette de voyage, vendue par la suite à Napoléon Bonaparte. En quelques années, l’horloger est apprécié dans toutes les monarchies d’Europe pour lesquelles il exécute des pièces spéciales. Il créera ainsi pour la reine de Naples la première montre-bracelet de l’Histoire en 1810.

Pas de stratégie unique

Les premières véritables égéries (liées par un contrat avec les marques) sont apparues dans les années 1920. Il s’agissait alors de sportifs — dont les exploits étaient très relayés par la presse — ayant pour but de valoriser la qualité du produit. Les marques horlogères occupaient également à cette époque une place de choix dans les grandes compétitions, la précision étant indispensable au bon déroulement de tels événements. Omega est d’ailleurs le chronométreur officiel des Jeux olympiques depuis 1932.

«Après la Seconde Guerre mondiale, l’horlogerie suisse a cherché à se différencier de ses concurrents, raconte François Courvoisier. Les maisons ont, dès les années 1950, utilisé des mannequins et acteurs pour les représenter.» A cette époque, la montre devenait de plus en plus un objet esthétique: l’objectif n’était plus de mettre en avant ses prouesses techniques, mais bien de propager d’autres valeurs, plus liées au style de vie.

Il n’existe pas de stratégie unique en matière d’égéries: cela dépend notamment du produit. Omega a, par exemple, choisi Nicole Kidman pour représenter la ligne pour femmes Ladymatic — des montres gracieuses possédant un boîtier de 34 mm –, tandis qu’on a attribué le modèle Seamaster — à la fois sportif et élégant — aux acteurs jouant James Bond. La segmentation a également lieu selon la zone géographique. Ainsi, la chanteuse libanaise Haifa Wehbe est l’actuelle ambassadrice de Cartier au Moyen-Orient.
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ENCADRE

Les présidents américains portent Vulcain

«The Watch for Presidents.» Le surnom de la manufacture Vulcain, fondée en 1858, est sans équivoque. Elle possède plusieurs modèles développés spécialement pour les présidents américains — devenus les ambassadeurs iconiques de la marque — tels que «Anniversary Heart» ou «50s Presidents’ Chrono». Tout a commencé en 1947, lorsque Vulcain fabrique la première montre-bracelet dotée d’une fonction réveil réellement fonctionnelle, la Vulcain Cricket. En 1953, le président de l’association des photographes de presse de la Maison-Blanche offre au président Harry S. Truman (1884-1972) un de ces modèles. «Suite à l’engouement qu’a généré le mouvement Cricket, le propriétaire de la marque de l’époque a décidé d’en offrir une à chaque président américain pour son investiture», explique Renato Vanotti, CEO de Vulcain.

La tradition initiée en 1947 avec Truman se poursuit encore aujourd’hui. Parmi les adeptes, on retrouve notamment Bill Clinton. Le président Truman avait régulièrement sa montre Vulcain au poignet: il aimait particulièrement la fonction réveil. Ce qui n’était pas le cas des Services secrets. Les agents auraient souvent confondu le signal d’alarme du garde-temps avec le compte à rebours d’une bombe. Dwight D. Eisenhower (1890-1969) était aussi un grand adepte de la marque et possédait une Vulcain Cricket avant même de devenir président. Lors d’une conférence de presse, il a involontairement amusé les journalistes quand sa montre s’est mise à sonner. Vulcain a également offert une montre au président Lyndon B. Johnson (1908-1973). Ce dernier vouait une grande passion à la marque: à l’occasion d’un sommet de l’ONU à Genève, il a donné l’ordre d’acheter toutes les montres Vulcain disponibles dans la ville. «Le fait que les présidents américains portent une montre de la marque est un gage de qualité, indique Renato Vanotti. Cela illustre l’ancrage dans l’histoire de la manufacture Vulcain.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine L.A Magazine (no 19).