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Au nom de l’atome, amen

Après le non à l’initiative «Sortir du nucléaire», le débat sur l’avenir énergétique du pays menace de tourner à la guerre de religion.

Que votre oui soit un oui, que votre non soit un non. On ne sait pas ce que le Christ et encore moins le Saint-Esprit ou le diable auraient voté à «Sortir du nucléaire». Ce qui est sûr, c’est qu’un oui même faible aurait été plus clair, de même qu’un non beaucoup plus large. Mais là, ces 54% de rejet autorisent tous les triomphalismes indécents, comme toutes les excuses de mauvais perdants. Chacun bombe le torse, prêt à recuire ses certitudes pourtant encore chaudes.

Le nucléaire, il faut dire, c’est un peu comme la religion: on y croit ou on n’y croit pas. Il déchaîne d’ailleurs les mêmes antagonismes irréconciliables, les mêmes intolérances fanatiques. Pro et anti ne se partagent plus guère que la manie systématique de s’envoyer des anathèmes à la figure.

Sauf qu’ici ce sont les non-croyants qui se voient qualifiés d’obscurantistes. Quant aux pratiquants de la foi atomique, ils ne sont pas loin de trouver, eux, qu’une centrale c’est à peu près aussi beau et pas moins sacré qu’une cathédrale. Alors, les fermer, pensez donc.

De même que l’église officielle est traversée par de nombreux schismes, les opposants à «Sortir du nucléaire» divergent largement sur l’interprétation à donner de leur courte victoire. Pour le radical bernois Christian Wasserfallen, les Suisses ont simplement, clairement et carrément exprimé leur souhait de vouloir «garder l’énergie nucléaire».

Tant pis si la sainte et mystérieuse loi invisible du marché dissuade actuellement les investisseurs de se lancer dans la construction de toute nouvelle centrale. Ce ne serait là que vérité d’un jour, périssable comme l’herbe des champs: «C’est pourquoi il faut laisser la porte ouverte à toutes les technologies.»

Tout aussi pro nucléaire, le radical genevois Benoît Genecand estime lui au contraire que «les gens n’ont pas dit oui à l’atome. Ils ont décidé de préserver la production 100% indigène.» Un rabbin n’y retrouverait pas sa Torah. Surtout qu’entre les mécréants verts et les culs bénis de l’uranium, naviguent les tièdes, ceux que Jésus avait promis de vomir. Doris Leuthard est leur grande prêtresse et leur évangile celui de La Palice: les centrales fermeront quand elles fermeront. Ils appellent cela «Stratégie 2050» pour faire semblant d’avoir quand même un agenda. Eux aussi disent qu’ils ont gagné, concluant que le non à l’initiative des Verts cache en réalité un oui à «Stratégie 2050».

Bref, cela menace de devenir aussi compliqué et tordu qu’un affrontement entre chiites et sunnites pour le contrôle d’une demi-mosquée. D’ailleurs les ayatollahs verts et rouges qui trouvaient «Stratégie 2050» beaucoup trop timorée, voire hypocrite, devront bien s’y rallier, faute d’avoir eu la peau des centrales tout de suite. Pendant ce temps, les mystiques inébranlables de l’atome à tout prix — l’UDC moins quelques hérétiques paysans, mais plus quelques radicaux relaps — comptent déjà les signatures pour un référendum contre le catéchisme de la sortie douce enseigné par Sainte Doris.

Tout comme en pleines guerres de religion, on trouvait encore des théologiens qui se refusaient à débattre d’autre chose que du sexe des anges, les discussions sur l’avenir énergétique de notre pays paraissent elles aussi vouloir s’égarer dans d’infimes chemins de traverse. C’est ainsi que la station ornithologique de Sempach, mandatée par l’Office fédéral de l’énergie, vient de jeter un mauvais pavé dans la mare des renouvelables. Les éoliennes, en effet, ces sortes de calvaires des temps nouveaux, tourneraient au massacre des saints innocents.

On pensait jusqu’ici qu’une éolienne tuait une dizaine d’oiseaux par année. Or il semblerait que ce soit le double. Du côté de la sous-secte des adorateurs du vent, c’est la fureur. Leur diaconesse Isabelle Chevalley crie à qui veut l’entendre qu’une éolienne ça ne «tue pas plus d’oiseaux qu’un chat».

Gageons qu’à ce rythme, l’orthodoxie nucléaire est partie pour durer comme le Vatican.