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Fillon, démission!

Les milieux économiques suisses réclament des privatisations massives. De quoi faire passer pour un sourcilleux étatiste le nouvel homme fort de la présidentielle française, présenté pourtant comme le Thatcher de la Sarthe.

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Que l’État leur «foute la paix». C’était donc ça la martingale absolue. Le coup super gagnant. Le «moins d’État» cher à nos radicaux des années 1980 qui emboîtaient le pas eux-mêmes à ces destriers fougueux du libéralisme sauvage que furent Madame Thatcher et Monsieur Reagan.

Ce foutage de paix réclamé à l’État, Fillon le tsunami, François le bulldozer sourcilleux, l’a lui-même emprunté à Pompidou, ce qui ne rajeunit personne. Pompidou le disait un peu autrement et même un peu crûment, lui l’auteur d’une anthologie de la poésie française: que l’État «arrête d’emmerder» les citoyens.

Darius, l’indémodable du Téléjournal, exhume ainsi à plaisir l’interview qu’il avait réalisée ce printemps avec l’austère du Mans. Fillon y vantait le modèle libéral suisse. Enfin, surtout «un système de formation professionnelle et d’apprentissage remarquable et un marché du travail qui fonctionne».

Rochebin le malin rappelle cet entretien au moment de recevoir quelqu’un qui, lui, trouve que ce fameux modèle libéral à croix blanche ne l’est pas encore assez: Tibère Adler, directeur romand d’Avenir suisse venu présenter les propositions du think tank, consistant à enclencher tout une série de privatisations. Dont celle de Swisscom, des mastodontes de l’énergie — genre Alpiq ou BKW — des banques cantonales, voire même de la SUVA ou encore du haras national. De quoi faire ruer dans les brancards plus d’un étatiste patenté.

On doit donc constater que les milieux économiques suisses débordent largement sur sa droite le nouvel homme fort français, lui-même caricaturé dans son pays en Thatcher foldingue ou qualifié à tous les coins de rue d’ultralibéral et super réac. On en conclurait presque qu’il existe en Suisse une vague de fond ultra-ultralibérale pour ne pas dire super-super réac.

Pour autant, les arguments d’Avenir suisse ne semblent pas complètement inaudibles: le modèle suisse certes fonctionne plutôt bien mais enfin la croissance y est plutôt mollassonne et les prix super ultra élevés — abonné de Swisscom, pourquoi tu tousses? La faute évidemment, croient savoir les libéraux, à un manque de concurrence, à des consommateurs captifs, à des entreprises étatiques pas trop bien gérées. A la fin, le citoyen est pénalisé deux fois: comme client tondu et comme contribuable assommé. Conséquence imparable: «Il faut privatiser là où des risques existent pour les contribuables et où les tâches peuvent être mieux accomplies par des acteurs privés.»

Les exemples assénés par les têtes pensantes d’Avenir suisse sont, il faut le reconnaître, plutôt spectaculaires. «Si la Confédération avait vendu ses actions Swisscom fin 2015, la population aurait pu recevoir un crédit d’impôts de 1600 francs.» Quant aux banques cantonales c’est bien simple: «La crise immobilière des années 1990 a coûté des milliards aux cantons.»

Vu et dit comme ça, on n’aurait plus qu’une envie: applaudir des deux mains et exiger sur-le-champ que la Confédération et les cantons bradent vite fait leurs encombrants bijoux de famille. Mais bon, les privatisations c’est un peu comme le Brexit, Trump, et le frein à la libre circulation: sur le papier ça peut paraître intéressant, voire tentant. Jusqu’au jour où on se réveille avec. Dit autrement: l’ultralibéralisme, c’est formidable, mais surtout chez les autres.

Parmi les nombreux surnoms que Fillon a collectionnés durant sa longue carrière — Droopy, Mister Nobody, le collaborateur, monsieur pipi, etc –, il en est un, abondamment ressorti ces derniers jours par des éditorialistes en mal de titraille et qui résume à lui seul tout la difficulté de la purge libérale comme doctrine appliquée: «Courage, Fillon». En attendant «Fillon démission»?