LATITUDES

Avec Zinedine et Synésios, la calvitie devient une bénédiction

Seuls deux médicaments anti-calvitie ont une efficacité scientifiquement prouvée, mais à quoi bon s’en servir? Les chauves sont des êtres supérieurs, affirme le sage de Cyrène.

De toute évidence, Zinedine Zidane a fait davantage pour décomplexer les chauves que tous les psys réunis. Est-ce pour l’en remercier que les Français viennent de le placer en tête du hit-parade des personnes les plus admirées, reléguant l’abbé Pierre au deuxième rang?

Génétiquement programmée chez l’homme, la perte des cheveux ou alopécie androgénétique touche un mâle sur trois à 30 ans et un sur deux à 50. Une chevelure complète compte entre 100’000 et 150’000 cheveux. Chaque jour, nous perdons jusqu’à cent cheveux tandis que cent autres entrent en phase de croissance. L’alopécie est définie comme une chute supérieure à 60 cheveux par jour, non compensée par une pousse de nouveaux cheveux.

Tous les chauves ne s’identifient heureusement pas au modèle Zidane et ne bénéficient donc pas de son effet libérateur. Pour ceux-là, un texte du IVème siècle devrait les convaincre du sort heureux qui est le leur. Son titre: «L’éloge de la calvitie», que les éditions Arléa ont eu la bonne idée d’exhumer. Rédigé par Synésios de Cyrène, cet opuscule est en fait une réponse à «L’éloge de la chevelure» rédigé à la même époque par Dion Chrysostome.

Dans ce débat qui a pour objet le statut du cheveu dominent l’humour et le mordant des répliques. L’objectif déclaré de Synésios: rendre honteux les chevelus. Pour ce faire, il avertit son lecteur: «J’exposerai des pensées chauves de tout superflu. Mon discours prouvera que les chauves ont moins de raisons que quiconque d’avoir honte.»

Pourquoi avoir honte d’avoir la tête lisse, du moment qu’y poussent autant d’idées que dans celles des héros? Cheveux et poils sont des matières mortes, accrochées aux vivants comme des parties sans vie, poursuit-il avant d’avancer son argument massue que voici: «Si l’homme est à la fois le plus intelligent et le moins velu des êtres vivants, de l’aveu de tous, le mouton – qui est le plus stupide de tous les bestiaux – est aussi celui dont la toison est la plus épaisse. Conclusion: la pilosité est ennemie de l’intelligence puisque toutes deux refusent de coexister. Là où est l’intelligence les cheveux désertent, de même que l’intelligence déserte là où sont les cheveux.» Einstein n’était pas encore né et ne constituerait qu’une exception à la règle.

L’exercice de rhétorique se poursuit, réjouissez-vous les chauves: vous êtes non seulement plus intelligents, mais aussi plus divins… Déjà Moïse avait eu cette intuition: «Lorsqu’un homme aura la tête dépouillée de cheveux, c’est un chauve: il est pur.» (Lévitique 13.40).

Synésios ne se contente pas d’affirmer, il argumente: «L’espèce humaine est d’autant plus éloignée de l’espèce animale qu’elle est moins velue. L’homme étant le plus saint de tous les êtres vivants, les plus saints d’entre les hommes sont donc ceux qui ont obtenu la faveur de perdre leurs cheveux, et le chauve pourrait bien être le plus divin des êtres vivants sur terre.» Pauvres femmes!

Certains chauves demeurent cependant peu convaincus par la logique de Synésios et souhaitent malgré tout freiner le processus naturel. De quels moyens disposent-il? Laissons de côté le charlatanisme toujours très prospère, seuls deux médicaments ont une efficacité scientifiquement prouvée: le minoxidil et le finastéride. Le premier est administré en application locale, le second sous forme de comprimé. Le résultat escompté est une petite repousse dans un tiers des cas, une stabilisation de la calvitie dans un deuxième tiers et aucun effet sur le dernier tiers des patients.

Alors, combattre la calvitie? La vivre comme un signe extérieur de virilité, à la Zidane? Ou comme un signe d’intelligence ou de divinité à la Synésios de Cyrène?