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Les nouveaux comportements

Depuis plusieurs années déjà, la déferlante numérique bouleverse la société en profondeur. Le développement technologique et digital ne révolutionne pas seulement l’économie mondiale, il modifie aussi fondamentalement les comportements humains.

Se faire livrer son repas d’un simple clic, recruter un nouvel employé via les réseaux sociaux, réserver ses vacances grâce à son smartphone, mesurer ses battements de cœur avec un bracelet connecté… Inexistants il y a peu, ces gestes sont anodins et quotidiens aujourd’hui. Considérée par certains comme l’équivalent d’une troisième révolution industrielle, la déferlante numérique se distingue des évolutions qui l’ont précédée par sa puissance et la rapidité de son développement, ainsi que par les nouvelles technologies qui l’accompagnent. Elle se diffuse très rapidement dans le temps comme dans l’espace et change la façon que chacun a de consommer, de communiquer et même d’être. «La révolution digitale irrigue nos pratiques de manière presque banale, observe le sociologue Olivier Glassey, spécialiste des nouveaux médias. Ces quinze dernières années, elle est entrée en continu dans notre quotidien. Aucune sphère n’est préservée. L’acte de se connecter est presque devenu obsolète, on est toujours connecté.»

En 2015, on dénombrait 5 milliards d’objets connectés dans le monde. Ils seront 25 milliards d’ici à 2020. Plus de 2 milliards de smartphones se trouvent ainsi sur le marché, sans parler des 2 milliards d’utilisateurs Facebook, du milliard de personnes qui communiquent par WhatsApp et des milliers d’applications développées chaque semaine… L’impact du numérique s’observe à tous les niveaux. «Cette transformation a débuté dès la fin des années 1990 avec la naissance du web, mais tout a basculé en 2007 avec l’essor du smartphone, relève Pascal Meyer, fondateur du site de vente en ligne QoQa.ch. Avec internet dans notre poche, le smartphone est la plateforme par laquelle tout transite.»

Les smartphones conduisent aujourd’hui plus de 50% de tous les trafics d’e-com­merce. Ils sont le symbole de cette connectivité permanente qui s’accompagne, selon le sociologue Olivier Glassey, d’une tendance à survaloriser l’immédiateté: «La manière de penser le temps change, les temporalités évoluent. On observe une forme d’accélération par rapport aux attentes du consommateur qui devient impatient. Les gens recherchent des opportunités liées à leur ‘ici et maintenant’. Ils sont en quête d’une expérience.» Si le produit est bon, le service fiable et que la technologie a un sens pour eux, les utilisateurs adoptent très vite de nouveaux comportements. Si tous ces éléments sont réunis, un nouvel usage peut donc rapidement devenir viral, avec internet comme vecteur.

Facilité d’utilisation et réduction des coûts

Avec cette déferlante numérique basée sur une connectivité continue est apparu un «cybermonde», nouvel espace de communication, de transaction et même de rencontre, offrant un millier de possibilités en quelques clics. De nombreux usages auparavant liés au monde «physique» basculent dorénavant vers ce nouveau lieu d’échange. Aujourd’hui, on fait ses courses en ligne, on lit un livre sur une tablette, on stocke ses photos sur son smartphone, on ne discute presque plus par téléphone mais par écrit via des applications connectées… «Et ce n’est que le début, car avec la réalité virtuelle, un monde parallèle plus vrai que nature est en train de se développer, observe l’entrepreneur Pascal Meyer. Son potentiel est infini. Par exemple, à l’avenir, on ne testera plus physiquement une nouvelle voiture, on le fera uniquement virtuellement.»

Pour Olivier Glassey, le «cybermonde» se caractérise avant tout par un flux incessant d’informations multiples. «Nous sommes passés d’un univers où l’information était difficile d’accès à un environnement où elle est pléthorique et continue, relève ce dernier. Cela a changé profondément notre façon de communiquer et de percevoir l’actualité.» Lors d’un événement marquant, le flux d’informations circule en quelques minutes en ligne, à coups de hashtags, tweets de politiciens, vidéos, photos… Le récent exemple des attentats terroristes en Europe a démontré la portée de ce flux ininterrompu. L’immédiateté de la diffusion a permis notamment à de nombreuses personnes de se mettre à l’abri à Paris. «L’impact est fort, poursuit l’expert. Les nouvelles technologies de l’information permettent de nous mobiliser et de nous coordonner à moindre coût.»

Communiquer sans frais, mais aussi écouter un morceau de musique sans l’avoir acheté, commander un objet en ligne et le recevoir le lendemain ou encore échanger des photos, des informations et des logements, la révolution numérique permet indéniablement une facilité d’utilisation et une réduction des coûts. Elle offre, d’une certaine manière, la possibilité de consommer de façon plus intelligente, du point de vue du client. Pourquoi acheter un album de musique entier quand on peut en choisir uniquement la meilleure chanson sur iTunes? Pourquoi payer un câblo-opérateur pour la télévision alors que les systèmes de VOD comme Netflix permettent de regarder ce qu’on veut quand on veut? Pourquoi avoir une voiture, si on ne l’utilise qu’une heure par jour? Autant la partager via des plateformes de covoiturage.

Des industries en pleine mutation

La numérisation du monde a fait naître un nouveau modèle économique transversal, fondé sur le partage et les communautés collaboratives. «Le peer to peer et les plateformes en ligne ont permis le développement de l’économie de partage: on peut être partout en même temps et être à la fois consommateur et producteur, client et fournisseur de services», note Andrew Tarling, chercheur associé au Global Center for Digital Business de l’IMD business school, à Lausanne. En prônant une mutualisation des ressources, l’économie collaborative modifie les usages et le rapport à la propriété: l’essentiel n’est plus de posséder mais d’avoir un accès facilité à un service ou un bien.

De nombreux domaines et industries, de la mobilité à la finance, en passant par les médias et les services publics, sont concernés par ces nouveaux usages. Ces derniers se développent très rapidement, notamment grâce aux prestations pro­posées par les acteurs qui arrivent sur le marché. Ces nouveaux modèles sont appelés disruptifs, car ils bouleversent totalement les modèles existants, jusqu’à les redéfinir, voire les faire disparaître.

Hybridation du monde physique et numérique

La tension est donc aujourd’hui maximale entre les acteurs traditionnels et les acteurs digitaux. Les premiers exercent dans un cadre fortement régulé et taxé, alors que les seconds s’émancipent des frontières, des réglementations et autres charges sociales. Dans ce contexte, la grogne des hôtels face à Airbnb ou des médecins qui voient leur cabinet classique remplacé par un cabinet numérique, semble légitime. Mais l’arrivée des nouvelles technologies a également permis de mettre en lumière les biais de certaines industries. Avec l’arrivée d’Uber en France par exemple, le mécanisme des ventes exorbitantes de licences de taxis a été mis en exergue. «De nombreuses règles et nouveaux fondements sont à créer pour arbitrer les activités de ces nouveaux acteurs, souligne le sociologue Olivier Glassey. Il s’agit d’une nécessité qu’on ne peut pas sacrifier au seul développement technologique.» Certains systèmes, compétences et rôles devront être repensés en profondeur.

Du point de vue de certaines industries qui peinent à évoluer rapidement, la révolution numérique comporte de nombreux points négatifs, mais du côté du consommateur, l’expérience semble majoritairement positive. Elle n’est pourtant pas sans risques. Beaucoup de jeunes construisent aujourd’hui essentiellement leur sociabilité en ligne, via les réseaux sociaux. Il faut veiller à ce que les rapports virtuels ne prennent pas le pas sur les rapports humains. Cet univers sans fin et sans limite peut créer une forme paradoxale de solitude connectée. «Comment, en tant qu’humain, trouver sa place dans ce système-là? Comment faire en sorte qu’il reste à taille humaine? s’interroge Olivier Glassey. L’hybridation du monde physique et numérique est primordiale. L’enjeu est de réussir à se servir de ces outils numériques pour qu’ils nous apportent quelque chose dans la vie réelle. Il faut apprendre à naviguer simultanément dans les deux univers.»

L’émergence de l’économie de partage prouve que l’on est sur la bonne voie. La solidarité est loin de disparaître. Le numérique devient un support et un vecteur d’échanges menant à un réel lien social, à l’image du covoiturage, du logement chez l’habitant ou du partage de repas. De même, les marques qui fonctionnaient essentiellement en ligne jusqu’alors créent aujourd’hui des événements ou des lieux de vente éphémères pour provoquer la rencontre. «Le numérique permet de rassembler une quantité impressionnante de personnes, de former de vraies communautés, relève l’entrepreneur Pascal Meyer. C’est ce qui fait sa force, mais cette proximité virtuelle doit aussi être transposée dans des événements physiques. Il faut préserver le contact humain.»

Une place à renégocier

Le droit à la déconnexion n’est pourtant pas évident actuellement. L’explosion d’offres de «digital detox» démontre qu’il est devenu difficile d’y arriver par soi-même. La connexion continue est une injonction à être réactif. Une forme de dépendance se crée. Le raz-de-marée d’informations reçues donne le vertige, il devient difficile de s’y retrouver, de démêler le vrai du faux. «Le défi est de retrouver de la lisibilité, savoir trier, retrouver du sens, souligne Oliver Glassey. Il ne faut pas perdre de vue que l’univers numérique n’est pas juste un univers entre humains, il est régi, et parfois biaisé, par des algorithmes ou des social bots invisibles qui vont par exemple décider de ce qui est intéressant pour chacun, sur la base de nos actions en ligne.»

Là se situe le danger. Les systèmes sont en effet peu transparents. A l’ère du Big Data, chacun laisse des traces sur la toile. Comment ces données personnelles sont-elles utilisées et à quelles fins? Ces systèmes sont encore très jeunes. Leur aspect disruptif pousse à abandonner certains usages au profit de nouvelles offres, mais ces dernières seront-elles encore attractives à l’avenir? Quel sera le coût de ces changements? De plus, la plupart de ces nouveaux outils numériques sont contrôlés par de grandes sociétés qui étendent leur monopole. Comment continuer à être des acteurs et des citoyens de ce monde-là et pas juste des clients? Pour Olivier Glassey, il est important que tous ces changements restent souhaités et non subis sous la pression des seuls puissants de ce monde. Sans compter que bientôt, les machines seront de plus en plus capables de prendre elles-mêmes des décisions.

«Le présent du numérique est porteur de mondes et de scénarios d’avenir très différents, estime le spécialiste. Je ne les vois absolument pas comme étant forcément des scénarios catastrophes, au contraire. Cependant, il est certain que notre place en tant qu’humain devra être revendiquée et renégociée.» Il faudra faire un effort conséquent d’éducation et de formation autour de la mutation en marche pour rehausser et valoriser le capital humain. Aux pouvoirs publics à présent de prendre leurs responsabilités face à cet enjeu, en élaborant notamment un cadre réglementaire, concurrentiel et fiscal compatible avec l’innovation, en garantissant la qualité des données, qui deviennent un élément clé des libertés individuelles, et en contribuant à faire émerger une gouvernance internationale du numérique.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Alumnist (no 4).