TECHNOPHILE

La révolution du CD-MP3 a déjà commencé en Asie

Douze heures de musique sur un seul disque, au prix d’une infime perte de qualité: c’est le format CD-MP3, qui envahit le marché asiatique des copies illégales.

Le format de compression MP3 s’est popularisé grâce au Net, et notamment avec cette célèbre plate-forme Napster qui terrifie l’industrie du disque. Mais la vague qui s’apprête à déferler dans nos salons est d’une autre ampleur, comme j’ai pu le constater dans les faubourgs de Bangkok où je réside depuis quelques semaines.

Pour écouter de la musique enregistrée en format MP3, il était impossible jusque ici de se passer d’ordinateur. On pouvait certes s’équiper d’un petit walkman à mémoire vive (comme le fameux Rio), mais il fallait le brancher sur un PC (ou un Mac) pour télécharger les fichiers.

L’étape suivante, qui fait déjà fureur en Asie, consiste à graver des fichiers directement en format MP3 sur un CD-ROM. La compression en MP3 permet d’augmenter considérablement la capacité du disque.

Ainsi, un seul CD-MP3 peut contenir 12 fois plus de musique qu’un CD, soit 740 minutes de musique (environ 240 chansons), au prix d’une infime perte de qualité. L’intégralité du répertoire des Beatles peut tenir sur un seul disque. Inutile de préciser que la plupart des CD-MP3 vendus sur le marché asiatique sont totalement illégaux.

Des appareils capables de restituer la musique ainsi compressée apparaissent sur le marché. On en trouve quelques uns en vente sur le Net, et dans quelques rares magasins spécialisés en Europe. Aujourd’hui, c’est au marché de Klong Thom, dans le quartier de Sampheng, qu’un ami bien informé m’a dirigé.

Dans ce discret faubourg de Bankgok, quelques comptoirs et boutiques aux devantures approximatives proposent plusieurs modèles de lecteur CD-MP3, dont le coût varie entre 125 et 300 francs suisses (500 et 1200 francs français).

Tenté par la primeur du test, j’ai acheté le modèle le moins cher après une démonstration concluante du vendeur.

Argenté, de marque «Handy» (inconnue au bataillon, y compris ici), l’appareil ressemble au banal lecteur CD d’une chaîne stéréo. De retour chez moi, j’ai pu vérifier que l’emballage disait vrai: le joujou décodait sans problème le CD-MP3 de démonstration, ainsi que les CD traditionnels, et même des films en VideoCD – en Asie, ce format a largement pris le pas sur le DVD, considéré comme trop cher (traduire: trop difficile à graver, donc à pirater).

Les CD-MP3 illégaux pullulent sur les marchés thaïlandais. On trouve à peu près n’importe quelle compilation ou copie de CD en format MP3. L’industrie du disque semble totalement impuissante face à cette avalanche technologique.

Après quelques semaines abandonnées à la torpeur pestilentielle de Bangkok, je ne suis plus surpris par l’étendue d’un trafic dévastateur pour les majors américaines. Ici, l’achat illégal est banalisé. Un ami thaï, cadre, la trentaine, m’a ôté mes dernières illusions l’autre jour en me demandant tranquillement: «Mais pourquoi les montres sont-elles si chères en Suisse alors qu’ici on trouve n’importe quel modèle pour moins de 100 francs?»

J’ai repris mon souffle avant d’entamer une petite explication, le temps de me remémorer Silom Road, le quartier des affaires, cette table de camping à même le trottoir ou trônaient une trentaine de répliques de Tag Heuer, Breitling ou Rolex. «Vous voulez laquelle? Vous l’avez dans 10 minutes», m’avait dit la vendeuse en me tendant un catalogue Breitling. En allemand et anglais, le catalogue, lui, était d’origine.