CULTURE

HJ Lim, une pianiste intégrale

A douze ans, elle quittait ses parents pour étudier seule à Paris. Installée aujourd’hui à Neuchâtel, la prodige coréenne publie son autobiographie. Rencontre.

Neuchâtel, par un matin frais d’été. Hyun-Jung Lim entre dans le lumineux café de l’hôtel Alpes et Lac. Sac au dos et baskets roses aux pieds: une tenue bien éloignée de celle, sobre et sombre, qu’elle arbore lors de ses concerts diffusés sur YouTube. Des clips qui l’ont révélée, il y a six ans, au monde entier.

Les mains nues, délicatement posées sur la table, elle pianote tout en racontant son parcours. Elle évoque sa décision de quitter ses parents, à 12 ans, pour aller étudier la musique en France, le pays qui a vu grandir Saint-Saëns, Debussy ou encore Ravel. Une aventure qu’elle détaille dans son ouvrage «Le son du silence*» paru en février dernier. «Je suis partie avec une naïveté inconsciente, dit-elle. J’avais davantage peur pour mes parents que pour moi-même. Pour moi, la musique était synonyme de liberté. Je devais partir.» L’enfant qui déborde d’énergie et de volonté se sentait à l’étroit dans son village natal d’Anyang, près de Séoul, et dans sa pratique du piano. C’est sa mère qui convainc son père de la laisser partir. Mais arrivée à Compiègne, au Nord de Paris, HJ Lim ne parle pas un mot de français. Elle loge dans une famille d’accueil étouffante et se fait railler par ses camarades de classe. Les moqueries cessent lorsque la jeune fille leur montre ses talents au piano.

«Tout a commencé au Conservatoire de Compiègne». HJ Lim gagne la confiance de son premier professeur de piano qui la prend sous son aile. Elle obtient le diplôme de l’institution en cinq mois seulement et part préparer le concours d’entrée au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, que des centaines de pianistes exceptionnels venus du monde entier rêvent de gagner. Après une année à pratiquer seule et à se battre contre les gardiens de conservatoire pour qu’ils la laissent répéter jusque dans la nuit, elle y est acceptée dès sa première tentative. Elle n’a que 16 ans.

Découverte sur YouTube

HJ Lim se distingue par sa technique, son talent mais surtout par son audace. «Mes professeurs de piano m’ont toujours appris à ne me satisfaire de rien et à ne jamais chercher la facilité». Elle s’attaque très vite aux œuvres des plus grands compositeurs, Liszt, Chopin, Rachmaninov. Elle décrochera son premier contrat international grâce à un récital joué en 2009 au Stadtcasino de Bâle qu’elle décide de diffuser sur internet pour ses parents. «J’avais clairement sous-estimé le pouvoir de YouTube, sourit la pianiste. Je voulais montrer mon travail à mes proches et puis j’ai reçu des lettres d’admirateurs. En quelque temps, plusieurs milliers de personnes avaient écouté mon concert et on me proposait un contrat d’exclusivité avec EMI Classics.»

Son obsession pour Beethoven la conduit à interpréter l’intégralité de ses sonates pour son premier enregistrement. «J’ai étudié la musique, mais aussi l’homme qu’était Beethoven. Je voulais comprendre ce qu’il avait voulu exprimer dans ses compositions. J’ai lu toutes ses correspondances, toutes ses biographies et analysé toutes ses sonates.» Elle enregistrera les 30 sonates pour piano par cœur dans la salle Faller du Conservatoire de la Chaux-de-Fonds, parfois à trois heures du matin.

HJ Lim sourit beaucoup et parle avec fougue. Les yeux pétillants, elle dit se sentir très bien à Neuchâtel, où elle a posé ses valises il y a six ans. «J’aime le paysage suisse, ses lacs, et la ville de Neuchâtel m’inspire. Je vis au centre, je peux donc jouer dix heures de musique par jour sans déranger personne!» Elle y a trouvé des amis, comme Sylvain Jaccard, directeur du Conservatoire de musique neuchâtelois pour qui HJ Lim «est une artiste humble, encourageante, très indépendante d’esprit et exceptionnelle par sa créativité.»

Comment cette virtuose fait-elle pour souffler entre deux tournées à l’étranger? A bientôt 30 ans, elle se plaît à suivre un petit rituel en Suisse romande: elle se lève entre quatre et cinq heures du matin, pratique le yoga au bord du lac ou va se ressourcer à la Collégiale de Neuchâtel, un temple protestant. Elle aime aussi se rapprocher de sa culture natale en traduisant des textes sacrés coréens en français. Et enfin, elle démarre sa journée musicale.

*HJ Lim, Le son du silence, Albin Michel, 2016.
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PROFIL

1986: Naissance à Anyang, Corée du Sud
1999: Départ pour la France
2003: Entre au Conservatoire national de musique de Paris
2009: Diffusion sur YouTube
2012: Premier enregistrement sous le label EMI Classics
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Une version de cet article est parue dans le magazine L’Hebdo.