Dans un mois, la station spatiale internationale recevra ses premiers visiteurs. Mais le projet réserve déjà de mauvaises surprises. La Russie est à sec. Jean-Bernard Desfayes raconte.
Ils se nomment Unity et Zaria. Depuis la fin de 1998, ces deux premiers éléments de la station spatiale internationale tournent inlassablement à 400 km d’altitude en orbite terrestre.
L’embryon de station aura déjà accompli plus de 2500 orbites autour de la Terre quand, le 22 mai prochain à bord de la navette Discovery, six astronautes américains et un cosmonaute russe viendront le visiter et lui apporter des équipements, intérieurs et extérieurs, notamment un bras télémanipulateur russe.
Tout va pour le mieux, dira le bon peuple; l’entente cordiale fonctionne entre Washington et Moscou…
Eh bien non, pas vraiment. Pour plusieurs raisons. La première, c’est que personne ne sait exactement ce que coûtera la station orbitale: 27 milliards de dollars, comme budgétisé par la NASA pour la construction seulement? Ou 100 milliards de dollars, y compris les dix ans d’exploitation de la tour de Babel spatiale, comme certains le laissent entendre aujourd’hui?
Sur les 45 vols d’assemblage, 35 seront exécutés par les navettes spatiales, dont chaque mission coûtera en moyenne 450 millions de dollars, ce qui fait 16 milliards pour la part américaine du transport, sans compter le coût de développement et de fabrication du
matériel transporté. Ces sommes monstrueuses font frémir les plus bienveillants des membres du Congrès américains.
En 1993, quand Washington a décidé d’associer la Russie à son programme de station spatiale (minimisant ainsi le rôle des autres partenaires enrôlés dans cette opération: l’Europe, le Canada et le Japon), le gouvernement américain avait en tête de profiter des formidables expérience et compétence de l’ex-Union soviétique en matière de séjour prolongé dans l’espace.
Il pensait en outre que la capacité financière de Moscou lui permettait de financer au moins une partie de sa participation à l’opération, ce qui abaisserait d’autant la charge revenant au contribuable américain; la NASA a en tout cas utilisé cet argument pour faire passer la pilule au sein d’un législatif plus que réticent.
Enfin, à la faveur de contrats de sous-traitance, Washington espérait soutenir et fixer en Russie des capacités technologiques qui pouvaient s’employer ailleurs ( y compris à l’étranger) et compromettre la sécurité internationale.
Tous ces objectifs sont pour le moins compromis. Le montage du projet (qui n’a toujours pour nom que l’horrible sigle d’ISS, pour International Space Station, malgré plusieurs suggestions intéressantes comme Station Von Braun ou Station Tsiolkovsky) a pris plus d’une année de retard sur le dernier calendrier établi il y a deux ans; le module de servitude, capital pour le début de l’exploitation puisqu’il abrite notamment le premier quartier d’habitation d’ISS, ne sera pas mis en place avant la fin de cette année.
Les Russes n’ont théoriquement plus un sou pour l’espace et l’Amérique injecte, à coups de 100 millions de dollars, de l’argent frais pour maintenir en activité les ateliers où avait été conçue la station Mir, toujours en service, elle, après 13 ans de bons et loyaux services.
Pour sa part, la NASA devra consacrer 2 milliards de dollars pendant les 5 prochaines afin de couvrir les frais supplémentaires engendrés par la station. Comme elle ne peut pas décemment dépasser les 13,5 milliards de dollars de son budget annuel, elle a dû renoncer à d’autres projets, comme celui de l’avion de transport supersonique de prochaine génération.
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Jean-Bernard Desfayes, journaliste scientifique, travaille notamment pour la Radio suisse romande.
