LATITUDES

Les «singles» ont remplacé les célibataires

Les personnes seules ont des parcours de vie extrêmement variés et ne se reconnaissent pas toutes dans l’appellation fourre-tout «célibataire». Des nuances de langage s’imposent.

Sept copines sur une terrasse de bistrot. «Sept cœurs à prendre?», leur lance le garçon de café, qui suscite sourires et moues en guise de réponse. Sa question fait tilt auprès de ces six célibataires et de cette femme mariée. Plus précisément: une célibataire endurcie, une mère célibataire, une célibataire qui cohabite avec son compagnon, une adepte de la vie en solo en attendant la découverte du prince charmant, une célibataire qui privilégie pour l’heure sa vie professionnelle et pensera plus tard à sa vie privée, une lesbienne en voie de se pacser et une femme mariée qui envisage le divorce une fois ses enfants hors du nid. Non sans étonnement, elles constatent que, pour décrire leur situation amoureuse sur Facebook, elles ont toutes opté pour la catégorie «single». Un anglicisme à la mode qui a l’avantage, pour des francophones, de ne pas renvoyer au cliché de la vieille fille acariâtre qui colle encore au terme «célibataire».

Déjà perceptible dans ce mini échantillon, la diversité des formes de célibats ne cesse de s’élargir. Avec 1,5 million de célibataires, la Suisse est un «Single-Land» (pays de célibataires), selon une étude de l’Institut GfK pour «Mazda Speed Dating Suisse» publiée début juillet. La marque automobile cible de plus en plus sa clientèle en lançant cet été une nouvelle formule de rencontres pour «singles». Vingt célibataires font connaissance dans un cabriolet, côte à côte et non attablés. Changement de partenaire et de véhicule toutes les quinze minutes.

Cette offre est proposée à une catégorie de population toujours plus nombreuse et regroupant une grande variété de modes de vie. Certains démontrant qu’il est possible de s’épanouir en dehors du sacro-saint couple marié. «Le célibat n’est plus une salle d’attente avant de se marier et de vivre heureux en ayant beaucoup d’enfants», constate Jean-Claude Bologne dans son «Histoire du célibat et des célibataires» (Fayard). Un Suisse sur cinq entre 18 et 69 ans n’a pas de partenaire. 1001 d’entre eux ont été interviewés dans le cadre de l’étude mandatée par Mazda. Plus de la moitié vit en solo depuis plus de trois ans. 25% apprécient leur «liberté et indépendance». La majorité compte sur le cercle d’amis et les sorties pour rencontrer l’âme sœur, alors que 40% optent pour les sites de rencontres.

Ce sont là des données chiffrées certes intéressantes, mais pas à même de cerner le phénomène en pleine expansion qu’est le «célibat». De quoi célibataire est-il le nom? Que recouvre aujourd’hui ce terme fourre-tout? Vient-il ringardiser la vie en couple, comme le suggère Jean-Claude Kaufmann? Son absence d’homogénéité le rend-il insaisissable? Regroupant des citadines surdiplômées côté féminin, et des ruraux côté masculin, choisi à un certain âge, subi à un autre, stigmatisé ici, assimilé à une émancipation ailleurs, le célibat appelle à la précaution sémantique.

La société évolue, le système binaire «marié versus célibataire» laisse progressivement place à une nouvelle donne: «marié versus une variété d’options». Pour décrire cette évolution démographique et sociologique en cours, un vocabulaire nuancé est indispensable. L’arrivée de néologismes — seuls à même de transcrire cette mutation — est souhaitée par le sociologue américain Eric Klinenberg. Auteur de «Going Solo» et co-auteur de «Modern Love», il est convaincu que le mariage cessera prochainement d’être érigé en modèle. Il appartient au monde politique de «veiller à cette ‘re-accommodation’ avec des individus qui naviguent désormais de plus en plus seuls dans leur existence».

Or cette adaptation se fera, en partie, grâce à l’émergence d’un nouveau langage découlant d’une logique moins binaire dans lequel chacun pourra se reconnaître. Les sept copines n’auront alors plus besoin de recourir à l’identité réductrice de «single» pour s’identifier.