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Le projet corse de Jospin sous le feu des éditorialistes

Pourquoi les éditorialistes Julliard et Attali critiquent-ils avec tant de virulence le projet Jospin d’autonomie limitée pour la Corse? Le jacobinisme se meurt, mais il mord encore.

Comme prévu, l’Assemblée de Corse a accepté, en fin de semaine dernière, le projet Jospin d’autonomie limitée pour l’île. Mais ce qui m’a frappé, c’est la virulence des réactions des éditorialistes français à l’annonce du possible octroi, en 2004, de cette toute petite autonomie à la Corse.

Dans le Nouvel Observateur, Jacques Julliard commence par une méchanceté gratuite en comparant Jospin à Edgar Faure, l’un des politiciens les plus honnis de la Quatrième République en raison d’un opportunisme qui lui permettait de rester au pouvoir dans les situations les plus inextricables et avec des majorités à chaque fois différentes (Edgar Faure parvint même, en Mai 68, à se rendre indispensable aux gaullistes pour réformer une Education nationale mise en pièce par Cohn-Bendit et ses camarades). On peut reprocher à Jospin de faire une politique de droite, mais il est loin d’avoir la souplesse et l’entregent de ce cher Edgar qui par ailleurs était d’une rondeur intellectuelle fort sympathique!

Puis Jacques Julliard porte la botte fatale: «Il fallait un jacobin pour liquider le jacobinisme.» Et d’annoncer qu’en sonnant le début du règlement de l’affaire corse, le premier ministre avait «ouvert la question basque, la question bretonne, la question savoyarde, la question occitane.»

Julliard se contente de prendre date, on sent qu’il reviendra sous peu sur le sujet avec une de ces analyses exhaustives dont il s’est fait une spécialité.

Dans L’Express, Jacques Attali n’a pas la même prudence. Sous le titre «La fin d’une France», il annonce avec effroi qu’il faut s’attendre aux pires calamités: disparition de l’unité linguistique («tout Français aura bientôt deux langues maternelles»), disparition de la parité fiscale, éclatement du pays en communautés diverses, voire concurrentes…

«Ainsi la régionalisation se révélera comme le principal allié de la pire face de la mondialisation, celle qui détruit les institutions étatiques sans les remplacer par rien d’autre qu’un terrain de conquête pour la criminalisation.» Cela marquera la fin de l’exception française qui «protégea pendant mille ans notre pays de la dictature des minorités». Et Attali d’annoncer que, dès lors, la France sera au mieux une grande Belgique, au pis une petite Russie.

Ainsi la France rejoindra la normalité planétaire et personne ne pourra plus dire comme Cioran: «Tout le monde est mécontent d’être ce qu’il est, sauf les Français.» («Cahiers», Gallimard, p. 622)

Pauvre Attali! Quelle angoisse!

Je rappellerai simplement qu’il fut le premier président de la BERD, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, et que l’on pourrait attendre un peu plus de hauteur de vue d’une personnalité ayant occupé de telles fonctions et se flattant de surcroît de ne pas méconnaître l’histoire.

Vous l’aurez compris: ce désarroi des jacobins me réjouit au plus haut point. Parce qu’enfin nous entrons dans le vif des problèmes de fond posé par la construction européenne. Tant que la classe politique française pouvait faire semblant de croire que l’Europe ne serait qu’une simple juxtaposition d’Etats souverains, l’avenir restait bouché. Parce que, malgré son exception, la France occupe une place centrale sur le Vieux Continent, tant par son importance géopolitique que par son poids historique, économique et culturel.

En faisant sauter le tabou jacobin, Jospin pose la première pierre d’angle de la future fédération européenne. Et pour clouer le bec aux nostalgiques de Robespierre, il pourra toujours – mais je rêve car il ne le pense pas vraiment – leur demander comment ils concilient, eux les prétendus hommes de gauche du XXIe siècle, leur vision unitaire de la France et la permanence de ses colonies d’outre-mer.