TECHNOPHILE

Ces techniques qui révolutionneront la société

Des objets connectés aux nanoparticules en passant par l’ingénierie génétique et la nutrigénomique, les progrès techniques et scientifiques touchent de nombreux domaines d’application. Second volet des «technologies qui vont changer le monde».

De grandes organisations comme le World Economic Forum, les cabinets d’audit et de conseils comme Deloitte, Gartner ou PricewaterhouseCoopers établissent régulièrement leurs classements des avancées techniques et scientifiques les plus prometteuses.

L’impact de ces progrès techniques sur tous les aspects de nos vies, déjà important, s’annonce encore plus spectaculaire dans les années à venir.
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Ingénierie génétique — Modifier l’ADN, une réalité

En vingt ans à peine, la faculté de modifier l’ADN est passée du rang d’événement rare et laborieux à une réalité fréquente et efficace. La dernière avancée technique, CRISPR-Cas9, a été mise au point en 2012 et s’est répandue depuis dans presque tous les laboratoires scientifiques. Cette technique permet d’isoler une zone précise de la séquence ADN pour la modifier. En cas de maladie génétique ou de dérèglement de type cancer, l’ADN est alors réparé sans le gène défectueux, puis replacé dans l’organisme, où s’opère ensuite une guérison autonome.

«De nombreux laboratoires de recherche pratiquent à présent la modification ciblée de génome, relève Denis Duboule, professeur en génétique et génomique à l’EPFL. Le potentiel de cette technique dans le domaine médical est particulièrement prometteur, tant du point de vue de la prévention et du diagnostic que du traitement. Il sera prochainement possible d’extraire une cellule, par exemple de moelle osseuse dans un cas de leucémie, de la réparer et de la remettre en place, comme une greffe. Pour le moment, on étudie encore les possibles effets secondaires, mais on peut s’attendre à voir cette technologie se répandre dans les traitements ces prochaines années.»

De la guérison du cancer à l’identification de maladies génétiques chez un embryon, les enjeux du développement de cette technique et son application future suscitent un débat qui, au-delà du domaine purement académique, devient sociétal. Selon le scientifique, l’époque est charnière et s’apprête à passer du fantasme à une réalité. «Il va falloir que la société accompagne cette transition du point de vue éthique.»
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Informatique — Des ordinateurs qui fonctionnent comme le cerveau

«Les ordinateurs que l’on utilise aujourd’hui fonctionnent en étant entièrement préprogrammés, ce qui restreint leurs capacités, explique Christophe Gamrat, chercheur au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, en France. En effet la programmation se limite forcément à un certain nombre de domaines et de tâches bien précises. Avec des systèmes neuromorphiques, les machines acquièrent une plus grande autonomie en réagissant et en s’adaptant à leur environnement.»

Pour développer des ordinateurs capables d’apprendre et de mimer le comportement humain, les chercheurs tentent de reproduire informatiquement les interactions des neurones biologiques. Une technologie qui permet d’élaborer des systèmes dits «neuromorphiques», dont les applications en reconnaissance visuelle et sonore ainsi qu’en robotique sont innombrables: reconnaissance faciale, traduction instantanée, robots autonomes ou encore exploration spatiale.

Actuellement, de nombreux travaux de recherche sont entrepris un peu partout dans le monde. L’EPFL abrite par exemple le célèbre Human Brain Project, qui vise à comprendre en détail le fonctionnement du cerveau humain pour développer de nouvelles technologies informatiques qui s’en inspirent. Aux Etats-Unis, le projet Synapse, mené par IBM et financé par la Darpa, consiste à produire des puces neuromorphiques, notamment pour les intégrer dans des smartphones.
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Véhicules autonomes — Demain, un trafic routier intelligent

En Suisse, sur le campus de l’EPFL, CityMobil2, un véhicule autonome qui fonctionne sans chauffeur, a achevé une phase de test concluante fin août 2015. Equipé de capteurs et programmé pour desservir différentes zones du campus, le minibus intelligent a ainsi démontré la maturité de cette technologie.

«Ce type de véhicules est amené à se développer fortement durant les prochaines années, indique Philippe Cina, coordinateur du Mobility Lab Sion-Valais, un projet destiné à tester des solutions innovantes en matière de mobilité mené par La Poste, le canton du Valais, la Ville de Sion, l’EPFL et la HES-SO Valais. Les gens réinvestissent de plus en plus les centres-villes tout en voulant les désencombrer des voitures. Et les véhicules autonomes de transport public répondent très bien à cette nouvelle tendance urbanistique.»

Début 2016, un projet pilote mené par Car Postal dans le centre-ville de Sion permettra de tester ce nouveau type de transport en zone publique. L’idée consiste à munir le chef-lieu valaisan de deux minibus autonomes de transport public pour effectuer de courts trajets. Des projets similaires devraient être lancés en France, en Allemagne ainsi qu’en Angleterre durant la même année. «Parallèlement, les progrès sur les véhicules individuels devraient permettre d’optimiser et de fluidifier le trafic routier sur les voies rapides tout en renforçant la sécurité d’ici dix à quinze ans.»

De son côté, Swisscom teste également un véhicule qui roule tout seul à Zurich. Une autorisation spécialement délivrée pour l’occasion permet à l’opérateur d’effectuer des essais jusqu’à la fin de l’année sur certains tronçons de la voie publique.
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Economie du partage — Un modèle démocratique

«L’économie du partage tire son origine d’un phénomène sociologique. Elle résulte de l’évolution des usages en matière de consommation et de production», explique Marc Gruber, responsable de la Chaire en commercialisation entrepreneuriale et technologique de l’EPFL. Cette évolution, dopée par les nouvelles possibilités offertes par internet et le développement des réseaux sociaux et des smartphones, prône une mutualisation des ressources et valorise la collaboration entre citoyens et consommateurs, l’essentiel n’étant plus de posséder mais d’avoir un accès facilité à un service ou un bien. «Par sa forme de production très démocratique, l’économie collaborative offre un fort potentiel d’émancipation. Chacun peut devenir producteur et offrir quelque chose au reste de la communauté.»

Avec 10 millions de réservations enregistrées en 2014, la plateforme de location d’hébergement entre particuliers Airbnb incarne à elle seule le succès de cette nouvelle tendance. L’économie de partage a aussi gagné les secteurs du transport, avec le covoiturage et les taxis d’Uber, et du financement, via les plateformes de crowdfunding, et va continuer à se développer. «A l’avenir, d’autres industries seront également concernées. On peut imaginer que cela s’étende à des services comme les repas, les travaux de réparation à domicile ou encore l’édu­cation.» Face à cette économie parallèle, les entreprises traditionnelles devront se remettre en question et se réinventer. «La ‘sharing economy’ est un modèle disruptif. Son apparition va entraîner la disparition du modèle précédent.»
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Nutrigénomique — Une alimentation personnalisée

«Nous vivons dans une société d’abondance avec à disposition une grande quantité de nourriture qui génère beaucoup de calories pour peu d’effort physique. Il y a une inadéquation entre cet excès de nourriture et notre génome originel de chasseur-cueilleur», explique Walter Wahli, professeur honoraire à l’Université de Lausanne, spécialiste du contrôle génétique sur le métabolisme énergétique. En effet, le génome humain a peu changé depuis la sédentarisation des populations et l’avènement de la nourriture industrielle, ce qui a entraîné le développement des pathologies métaboliques comme l’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires. «Par l’étude des interactions entre les nutriments et nos gènes, la nutrigénomique veut développer les connaissances qui permettront de résoudre ces problèmes métaboliques.»

Le développement de cette science pourrait déboucher sur une alimentation personnalisée aussi baptisée «nutrition de précision». «La nutrigénomique pourra aider les populations qui ne disposent pas d’une alimentation abondante, en déterminant quels nutriments sont essentiels à leur métabolisme.» La tâche n’est cependant pas simple: «Nous avons près de 20’000 gènes différents, mais seul un certain nombre est lié à la nutrition. Nous devons cibler ces gènes et comprendre comment ils fonctionnent. Je suis optimiste, la recherche est progressive, et d’ici à quelques années, nous y arriverons.» Avec la démocratisation du séquençage de génome, chacun pourra bientôt connaître ses gènes. Sur cette base, la nutrigénomique permettra de proposer une nutrition adaptée à chaque personne ou même de proposer en magasin des sélections d’aliments ciblés pour tel ou tel génome. «Il s’agit d’un domaine davantage préventif que curatif, son but étant que les gens vivent plus longtemps en bonne santé. Le plaisir social et gustatif de manger ne devra cependant pas disparaître.»
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Collaboration: Gabrielle Cottier, Leila Hussein et Thomas Pfefferlé

Une version de cet article est parue dans le magazine Alumnist (no 3).