KAPITAL

L’or vert des Finlandais

L’industrie du bois et du papier connaît un tournant historique. Après des années de restructuration, les géants de la branche investissent à nouveau pour commercialiser des produits high-tech et durables.

Tous les ambassadeurs finlandais en ont une. Une petite valise verte, décorée à l’effigie de sociétés historiques comme UPM, Stora Enso et Metsä Group, qui renferme les produits forestiers du futur: stylo, brique de construction, tissu, film plastique ou encore chewing-gums. Quinze ans plus tôt, personne n’imaginait que l’industrie du bois et du papier aurait un avenir aussi éloigné de son modèle d’affaires traditionnel. Même pas Sixten Sunabacka, responsable du programme stratégique pour les forêts au Ministère de l’économie et de l’emploi à Helsinki et cadre durant des décennies dans la branche. «Quand je suis arrivé au ministère, le secteur était en pleine restructuration. Les scieries et les usines à papier fermaient les unes après les autres. Nous nous demandions alors ce que nous allions bien pouvoir faire de notre bois à part le brûler.»

La numérisation et la crise de 2008 ont frappé de plein fouet l’industrie forestière finlandaise, essentiellement centrée sur le papier d’impression et la pâte à papier. «Pendant un siècle, le secteur avait gardé un modèle d’affaires extrêmement simple, explique Niklas von Weymarn, vice-président en charge de la recherche chez Metsä Fibre, Paper & Forest Products et membre du consortium européen des bio-industries. Quand la demande a commencé à chuter (5% en moyenne par année, ndlr), il a fallu se renouveler.» Une concurrence étrangère accrue explique également ces difficultés. «Il existe deux types de concurrents: ceux qui sont proches de la matière première, soit la Suède, le Canada et les Etats-Unis, mais aussi le Brésil et l’Uruguay, qui produisent désormais de la fibre à partir d’eucalyptus, et ceux qui sont installés à proximité du consommateur. Des entreprises de Chine ou d’Allemagne importent la pâte à papier qu’elles transforment ensuite en produits d’hygiène, cartons ou emballages pour leur marché.»

Cap sur la bio-economie

Résister était vital pour la Finlande. Les étendues de pins sylvestres, d’épicéas et de bouleaux forment 75% de son territoire. «Dans aucun autre pays, la forêt ne joue un rôle aussi important. Elle se reflète partout, dans le nom des habitants et des villes, dans nos activités et nos rites ancestraux. C’est une partie intégrante de notre culture et de notre économie.» Le secteur du bois et du papier emploie aujourd’hui 42’000 personnes et représente 20% du revenu des exportations finlandaises, soit 11,3 milliards d’euros. Avant la crise, ce taux se montait même à 50%.

Pour contrebalancer le déclin du papier imprimé et la stagnation de la demande en bois brut, les géants de la branche se sont diversifiés. Ils ont augmenté leur
production d’emballages, d’étiquettes et de produits d’hygiène (mouchoirs, papier toilette), des secteurs en pleine croissance. Ils ont également commercialisé de nouveaux produits à haute valeur ajoutée. Une société comme UPM (voir encadré plus bas) a par exemple mis sur le marché des briques de construction extérieure, composées de résidus de la fabrication d’étiquettes, ainsi que des petits granules à base de fibre de cellulose et de plastique servant à créer des stylos ou des enceintes. Pour occuper des marchés plus porteurs, les entreprises ont aussi ouvert des centres de production en Asie et en Amérique du Sud.

Ces transformations ont incité les industriels à rendre leur production plus verte. La fabrication de papier, chimique ou mécanique, n’avait quasiment pas changé depuis des décennies et restait extrêmement gourmande en énergie et polluante. Les papetiers ont ouvert des usines plus efficientes, capables de produire du chauffage et de l’électricité à grande échelle grâce aux résidus. «Certains moulins à papier peuvent désormais produire l’équivalent en électricité d’un demi-réacteur nucléaire», précise Sixten Sunabacka du Ministère de l’économie.

Des dérivés de pulpe sont aussi utilisés pour produire du diesel, comme à l’usine de Lappeenranta (voir encadré plus bas). La consommation de carburants à base de bois est passée en Finlande de 12 à 19 millions de mètres cubes en dix ans. En tout, neuf projets de transformation ou de construction d’usines à papier, pâte et carton sont en cours dans un pays qui en compte 48.

Etre pionnière en matière de bio-économie est devenu un objectif pour la branche, mais aussi pour le gouvernement finlandais. «Nous devons trouver des alternatives basées sur des ressources renouvelables et le recyclage, explique Sixten Sunabacka. Nous importons trop de pétrole et, du fait de notre gestion efficace de la forêt, nos ressources en bois augmentent plus rapidement que notre consommation.»

Troisième phase d’innovation

L’industrie forestière inaugure une troisième phase d’innovation. Après les avancées dans le secteur de l’énergie et des biocarburants, elle souhaite commercialiser de nouveaux matériaux. Sixten Sunabacka cite plusieurs projets menés par VTT, premier centre de recherche technique de Finlande, ainsi que par la section R&D de l’entreprise Stora Enso. Le premier développe de la viscose pour l’industrie textile. «Un moyen idéal de remplacer la culture de coton qui occupe trop de terres agraires sur la planète.» La seconde travaille sur la lignine, qui lie, dans la nature, les fibres et les cellules du bois. «Dans la construction ou l’automobile, elle pourrait constituer une colle plus durable que celles utilisées aujourd’hui.»

Une stratégie payante, selon Mikael Jafs, analyste chez Kepler Cheuvreux: «Les perspectives sont positives pour les deux entreprises cotées, Stora Enso et UPM. Elles attirent des investisseurs de long terme qui acceptent des prix volatils, allant de pair avec des dividendes élevés.» Et l’expert de jouer les prophètes: «Nous allons à terme vers la disparition totale du papier dans le portefeuille des entreprises de la branche.»
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ENCADRE

UPM, du papier a la bio-economie

Poids lourd du secteur des produits forestiers en Finlande, UPM a réussi sa reconversion. En 2014, son chiffre d’affaires s’élevait à 10 milliards d’euros.

Les troncs flottant en été dans le lac Saimaa, les cheminées des moulins et les wagons chargés de planches en témoignent: Lappeenranta vit depuis toujours de l’industrie du bois et du papier. Cette ville de l’est de la Finlande, située à seulement 20 kilomètres de la frontière russe, est encerclée de toute la matière première nécessaire. Dans ce paysage, une entreprise occupe une place de choix depuis 1873: UPM.

Sur les ruines de la fabrique du XIXe siècle s’élève aujourd’hui une «super-usine» qui tourne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et concentre de nombreuses activités, dont certaines sont des plus innovantes. Ce grand complexe sert toujours au sciage du bois et à la fabrication du papier et de la pâte à papier. Mais grâce aux résidus de ces opérations traditionnelles, il produit aussi de l’électricité et du chauffage pour son propre fonctionnement et alimenter la ville toute proche. En outre, il est devenu, en janvier 2015, la première bio-raffinerie au monde à fabriquer du diesel renouvelable à partir de bois.

A l’image de son site de production à Lappeenranta, le groupe UPM, qui emploie 20’000 personnes dans le monde, n’a cessé de se diversifier. Outre les divisions dédiées aux marchés européen, américain et asiatique du papier graphique, l’entreprise compte quatre autres unités: contreplaqué, bio-raffinerie, étiquettes adhésives et énergie. Une septième entité consacrée aux composites et aux produits biochimiques pourrait être intégrée aux autres prochainement. Au nouveau siège social du groupe à Helsinki, un bijou d’architecture en bois et en verre, le vice-président exécutif en charge de la technologie, Jyrki Ovaska, se réjouit du virage pris par sa société: «Nous nous y sommes pris assez tôt, dès 2005. Le résultat est à la hauteur de nos espérances.»

Pour se réinventer, UPM mise sur l’innovation. La société comptabilise 1100 brevets actifs et ses dépenses en RD se montaient en 2014 à 112 millions d’euros. «Nous innovons aussi bien dans nos activités traditionnelles, afin de mettre en place des processus de fabrication moins coûteux et plus durables, que dans la commercialisation de nouveaux produits. Les deux sont souvent liés. Le biodiesel, par exemple, est une innovation récente, mais qui repose sur la valorisation de résidus de l’ancienne industrie.»

Le plus grand centre R&D du groupe, qui emploie 125 personnes, se trouve aussi sur le site de Lappeenranta, tout proche de l’usine. Pekka Hurskainen, vice-président en charge du développement stratégique et de la technologie, nous accueille dans ces 7200 m2 de laboratoires dédiés à la recherche en papier, pâte à papier, biofuel et produits chimiques bio. «Encore à ses prémices, ce dernier champ de recherche est très prometteur. Il vise le remplacement de ressources fossiles par des matériaux renouvelables, pour les plastiques, la résine ou les adhésifs par exemple.»

Après plusieurs années d’investissements importants, UPM a trouvé son rythme de croisière. Mikael Jafs, analyste chez Kepler Cheuvreux à Stockholm, le confirme: «Le groupe reverse 30 à 40% de sa trésorerie d’exploitation en dividende à ses 90’000 actionnaires. L’action a rapporté 60 centimes d’euro en 2013 et 70 centimes en 2014. Il s’agit d’une entreprise solide.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Swissquote (no 6/2015).