Les entreprises helvétiques ABB et Stäubli sont à la pointe de la robotique. Leurs machines collaboratives préfigurent le marché du travail de demain.
«La Suisse est la Silicon Valley de la robotique, et les écoles polytechniques de Zurich et de Lausanne figurent parmi les meilleures universités du monde dans le domaine.» C’est ce que déclarait Chris Anderson, ancien rédacteur en chef du magazine «Wired» et CEO du fabricant de drones 3D Robotics, dans les colonnes du «Tages-Anzeiger» au printemps 2013. Un point de vue corroboré par l’explosion du nombre de start-up suisses créées à proximité de ces deux universités. Mais les débuts de la robotique suisse remontent aux années 1970 et 1980 déjà, avec l’essor des groupes industriels ABB et Stäubli.
Pionnières de la branche, les deux firmes jouent désormais les premiers rôles dans leurs segments respectifs. Le groupe helvético-suédois ABB, qui a commercialisé plus de 250’000 robots industriels à ce jour, fait partie du quatuor de tête de ce marché, avec l’allemand Kuka et les japonais Fanuc et Yaskawa.
Les quatre compagnies totalisent actuellement plus de 70% des ventes mondiales du secteur. Avec un chiffre d’affaires annuel de 1 milliard de francs, contre 40 milliards pour ABB, le groupe Stäubli, fondé en 1982, est plus petit, mais est néanmoins présent dans plus de 50 pays et commercialise près de 3500 robots par an.
L’horlogerie pour fondation
Une réussite qui ne doit rien au hasard. «La Suisse possède des compétences séculaires en mécanique de précision, souligne Roland Siegwart, professeur à l’Institut de robotique et des systèmes intelligents de l’ETH Zurich. Ce savoir-faire, principalement appliqué à l’horlogerie, a par la suite été complété par des connaissances dans les techniques de mesure et la construction d’outillages. La fabrication de robots en était la suite logique.»
C’est au milieu des années 1970 que la suédoise ASEA, qui fusionnera avec la suisse Brown, Boveri & Cie en 1988 pour devenir ABB, commercialise «IRB 6», le tout premier robot industriel électrique au monde. «Au début, l’intention était de développer des robots destinés à la recherche ou aux tâches lourdes ou salissantes», explique Per Vegard Nerseth, vice-président d’ABB et directeur de la division robotique.
L’industrie automobile se reposait alors sur l’automatisation pour améliorer l’efficacité de ses processus de fabrication. «Il régnait comme un sentiment de renouveau, et tout le monde prévoyait des taux de croissance annuels à deux chiffres, précise Roland Siegwart. Toutefois, les exigences sont devenues de plus en plus complexes et il s’est avéré que les robots n’étaient pas en mesure de s’adapter aussi bien que ce qu’on avait imaginé initialement.»
ABB réagit en diversifiant son offre, en commençant notamment à fournir des robots à l’industrie alimentaire. Un changement d’orientation qui trouve son origine dans les recherches du Laboratoire de Systèmes Robotiques de l’EPFL, avec le développement au milieu des années 1980 du robot «Delta». Doté d’un bras de manipulation formé de 3 parallélogrammes, il se démarque par sa vitesse de travail et sa précision accrues. Il est commercialisé par ABB sous le nom de «FlexPicker» à partir de 1988.
Stäubli, pour sa part, s’est focalisé d’entrée de jeu sur d’autres secteurs que l’automobile, avec la volonté de fabriquer des robots plus compacts et plus polyvalents. «Dès le départ, nous voulions développer des robots qui se démarqueraient par leur mobilité, leur dynamique et leur précision, explique Jean-Marc Collet, directeur des divisions connecteur et robotique chez Stäubli. Par conséquent, nos machines étaient, et sont toujours, adaptées à tous les domaines nécessitant la manipulation de petits éléments, comme l’horlogerie, l’outillage ou les sciences du vivant.»
En 1982, Stäubli, dont le siège social se trouve à Pfäffikon (SZ), entame une collaboration avec le constructeur de robots américain Unimation, que Stäubli finit par racheter en 1989. Le groupe profite par ailleurs de son expertise de longue date en mécatronique dans l’industrie du textile. Si la société ne détaille pas ses chiffres de vente, Jean-Marc Collet assure que le département robotique de Stäubli connaît une croissance ininterrompue depuis la fin des années 1980.
L’avènement des «cobots»
Au cours des dernières années pourtant, les fabricants se sont efforcés de trouver de nouveaux champs d’application pour leurs robots, pour se défaire de leur dépendance aux industries de l’électronique et de l’automobile. Selon la Fédération internationale de robotique (IFR), qui regroupe les entreprises, les instituts de recherche et les organismes nationaux du secteur, ces deux industries représentent encore plus de 60% du chiffre d’affaires mondial.
Aussi bien ABB que Stäubli misent désormais sur une plus grande collaboration entre l’homme et le robot, notamment pour assembler smartphones ou tablettes. Au printemps 2015, ABB a lancé «YuMi», un petit robot habile capable d’apprendre rapidement de nouvelles procédures afin d’assister les hommes dans leur travail. De son côté, Stäubli prévoit de lancer une nouvelle série de robots au début 2016; celle-ci doit également permettre la collaboration entre l’homme et la machine et répondre à l’évolution des besoins dans les procédures de montage de petits éléments: des séries de produits plus courtes, davantage de souplesse et une précision accrue.
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ENCADRE
Des robots salamandres, professeurs ou chirurgiens
La robotique investit également les universités suisses, à l’image des travaux menés à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Explications.
La robotique bio-inspirée consiste à créer des machines s’inspirant de systèmes naturels qui fonctionnent bien. A l’EPFL, L’équipe du professeur Auke Jan Ijspeert développe ainsi un robot salamandre qui copie la locomotion de cet amphibien, capable de se mouvoir aussi bien sur Terre que dans l’eau. «La maîtrise de nouveaux modes de locomotion pourrait avoir des applications pour les interventions en zone de catastrophe, lorsqu’il est impossible d’accéder à un terrain avec des roues ou des chenilles», explique Francesco Mondada, professeur titulaire au Laboratoire de systèmes robotiques. Mais la robotique bio-inspirée s’intéresse aussi aux interactions d’animaux sociaux (fourmis, bancs de poissons, poussins, etc.) qui régissent un comportement collectif.
La robotique biomédicale se concentre, quant à elle, sur le développement d’instruments destinés à aider les chirurgiens, ainsi que de solutions pour réhabiliter les personnes handicapées, telles que des prothèses de mains ou de jambes.
Enfin, la robotique éducative entend permettre une meilleure compréhension des technologies et de la robotique, toujours plus présentes au quotidien. Avec son équipe, Francesco Mondada a mis au point le robot Thymio, à la fois outil pédagogique et jouet, qu’un enfant peut programmer lui-même et que des enseignants utilisent dans le monde entier. Ce type de robotique ouvre également le champ à des méthodes d’enseignement alternatives, susceptibles de réinsérer des jeunes en décrochage scolaire.
Collaboration: Martine Brocard
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Une version de cet article est parue dans le magazine Swissquote (n°4/2015).