KAPITAL

Fonds de dotation: le trésor de guerre des universités américaines

Inscrits dans les gènes des pays anglo-saxons, les dons d’argent alimentent les universités américaines et participent à la compétition globale dans l’enseignement supérieur.

Les fonds de dotation ou «endowment funds» sont un capital que les universités américaines et britanniques cumulent depuis des siècles. L’Université d’Harvard, la plus riche du monde, repose ainsi sur une réserve de plus de 36 milliards de dollars de dons privés, dont les intérêts alimentent 30% de son budget opérationnel. La gestion de ces capitaux s’est accrue aux Etats-Unis depuis les années 1980, l’Etat se désengageant petit à petit du soutien de l’enseignement supérieur. Décryptage de ce système de financement, encore balbutiant en Europe.

Qui donne?

Les donateurs se divisent en trois catégories, avec par ordre d’importance les anciens étudiants (alumni), comptant pour près de 80% des dons, puis les fondations, et enfin les entreprises. Dans un pays comme la Suisse, l’apport financier provenant des entreprises (sponsoring) est proportionnellement plus élevé que celui des alumni. Nestlé, Rolex, Logitech ou encore Merck Serono sont quelques exemples d’entreprises qui soutiennent financièrement des institutions suisses d’enseignement supérieur. Aux Etats-Unis, Apple et Facebook comptent parmi les donateurs de l’Université de Stanford, proche de la Silicon Valley.

Quel intérêt pour le donateur?

«Aux Etats-Unis, avoir son nom attaché à une université ou un bâtiment, une des plus anciennes traditions philanthropiques, et profiter des avantages fiscaux, raison plus récente, font partie des motivations qui animent les donateurs», note Carole Masseys-Bertonèche, maître de conférences honoraire de l’Université de Bordeaux et auteure de plusieurs travaux sur le financement des universités américaines. «Dans le cas d’une entreprise, un don permet également de montrer son engagement pour la société, son implication dans l’éducation», relève Didier Cossin, directeur du centre de gouvernance de l’IMD de Lausanne.

Comment est utilisé l’argent?

Les universités capitalisent sur ces fonds propres. Légalement, elles ne sont autorisées à dépenser que le revenu des retours sur investissement (équivalent à 15% pour les universités privées américaines en 2014) et selon des conditions strictes stipulées par les donateurs. Cet argent est réinvesti dans le développement des chaires, dans des projets de recherches appliquées, des bourses d’études ou encore des travaux de construction et de rénovation.

Quels enjeux pour les universités?

Les ressources privées permettent aux universités d’être plus compétitives, et donc d’asseoir leur statut de référence pour attirer les meilleurs professeurs, les meilleurs dirigeants et les meilleurs élèves. Ce cercle vertueux profite aux universités d’élite les mieux dotées, qui tiennent à rester en tête des rankings annuels. «Les classements d’universités, réalisés par des magazines comme le Financial Times, conditionnent directement le nombre des candidatures, soutient Didier Cossin. Pour accroître leurs avoirs, les universités n’hésitent donc pas à adopter des stratégies de placements risquées. Et elles mènent des campagnes parfois agressives de collecte de fonds. En tant qu’ancien élève de Harvard, je reçois une lettre m’invitant au don tous les trois mois!»

Le darwinisme de ce système peut être déploré, selon Carole Masseys-Bertonèche, qui souligne aussi que c’est cet esprit de compétition qui a permis aux premières universités américaines de conserver leur statut de leader à travers les siècles. Sandra Bouscal, directrice de développement de projets stratégiques à l’IMD, précise: «Les limites résident dans un déséquilibre de moyens qui peut créer un monopole intellectuel autour de certaines universités, notamment celles ayant une longue tradition de fundraising et qui disposent donc d’endowments conséquents.»

Quelles perspectives en Suisse?

Si les universités américaines profitent d’une longue tradition de financement par des tiers, et d’une valeur de la philan-thropie inscrite dans l’éducation des étudiants, en Europe et en Suisse, l’Etat participe encore majoritairement au financement des hautes écoles et universités. Plusieurs partenariats public-privé ont toutefois été conclus par les hautes écoles telles que l’EPFL et l’EPFZ pour le sponsoring de chaires universitaires depuis les années 2000. Ils ont néanmoins soulevé de vifs débats, notamment sur les risques de conflits d’intérêts et de perte d’indépendance de l’institution face à son donateur. Des risques qui sont néanmoins limités par des chartes déontologiques strictes pour chaque université. Selon Didier Cossin de l’IMD, le système d’endowment américain sera une nécessité à l’avenir pour faire face à la concurrence: «Dans la situation actuelle, les universités américaines restent au-dessus du lot. Adopter leur système d’endowment permettrait une avancée pour nos universités et hautes écoles, et leur offrirait de nouvelles possibilités de se différencier.»

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Une version de cet article est parue dans le magazine Swissquote (2015, no2).