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Gagner au foot et perdre en politique

Coincé par la cohabitation, le gouvernement consensuel de Jospin a perdu tout dynamisme. Une mollesse très helvétique s’empare de nos voisins au moment où ils prennent la présidence de l’Union européenne.

Avant qu’ils ne s’extasient sur les exploits sportifs de leur équipe nationale, les médias hexagonaux se sont longuement répendus en commentaires sur l’importance d’un autre événement: la présidence de l’Union européenne pour les six prochains mois (en mettant d’ailleurs plutôt l’accent sur le prestige de la fonction que sur son contenu). La présidence française tombe pourtant à un moment crucial de la jeune histoire communautaire. A la veille de l’élargissement de l’Union à six nouveaux Etats, la question importante consiste à déterminer le mode de scrutin qui permettra au mastodonte européen de prendre des décisions. Chacun s’accorde à penser que l’unanimité ne sera plus praticable et qu’il s’agira de trouver des majorités qualifiées. C’est l’objectif principal fixé au sommet de Nice, en décembre prochain.

Au risque de devoir m’excuser platement à ce moment-là, je dois dire que je ne crois pas un instant à la réussite de cet objectif. Parce que la France est mal dans sa peau européenne. Pas les Français, mais la classe politique française. Quand j’entends Chirac répondre au discours quasi prophétique de Joschka Fischer, j’ai l’impression d’entendre un démocrate chrétien suisse des villes, sauce Deiss ou Maitre. De belles gesticulations, mais rien derrière.

Et si je tourne mon regard du côté du gouvernement, les Lionel Jospin et autre Pierre Moscovici m’apparaissent défendre des convictions européennes dignes d’un démocrate-chrétien des montagnes, de la Suisse primitive, genre Uranais ou Schwytzois.

Il suffit de les entendre respirer pour comprendre que l’Europe est à des années-lumière de leurs préoccupations. Pourquoi? Tout simplement parce qu’ils sont allergiques par leur culture politique et leur pratique gouvernementale à toute idée de partage du pouvoir. Cette gauche française, énarchisante plus que socialisante, reste arrimée au jacobinisme farouche de ses ancêtres robespierristes. On se gausse volontiers de Chevènement et de ses foucades rétrogrades en matière d’esprit républicain. Mais on oublie qu’il est en symbiose parfaite avec ses amis du gouvernement. La cause franco-européenne est d’autant plus mal partie que Chirac et Jospin sont déjà en campagne électorale pour la future présidentielle. Un oeil rivé sur les sondages, l’autre sur la politique intérieure. Avec une règle: que rien ne bouge.

Or pour construire l’Europe de demain, il faut aimer le mouvement, le changement, la transformation permanente. Pour que la construction européenne se poursuive, le passage fédéral est inévitable. Il est indispensable que les politiciens apprennent à connaître le fédéralisme, à apprécier les engagements qu’il suppose. Or rien en France ne mène à une réflexion fédéraliste. La décentralisation voulue par Deferre, il y a presque vingt ans, s’est arrêtée au niveau administratif, superposant une bureaucratie de plus à celles, nombreuses, qui existaient déjà. Prenez un secteur aussi vital que l’éducation nationale, il n’a pas encore vu la couleur des régions!

Il est stupéfiant de voir que la Grande-Bretagne, une fois prise la décision de s’arrimer à l’Europe, s’est européanisée plus vite que sa voisine peu chérie en pratiquant par le système des dévolutions un fédéralisme intérieur qui la prépare à digérer le fédéralisme continental. Au-delà du poids d’un passé glorieusement jacobin, il est une autre raison qui explique le blocage politique français et justifie une comparaison avec la Suisse, c’est la cohabitation. Un gouvernement de consensus, élu sur une base proportionnelle, ne permet plus de nos jours de dynamiser un pays et encore moins ses élites politiques. Au pouvoir depuis trois ans, Jospin l’Uranais ne fait pas un pas sans regarder ce que fait son concurrent.

Comment pourrait-il dans ces conditions faire oeuvre de pionnier? Comme les politiciens suisses, il gère sa carrière, met précautionneusement un pied devant l’autre, attentif à ne pas shooter le caillou qui pourrait provoquer une chute de pierres. Ce n’est hélas pas l’esprit qu’il faut pour faire entrer l’Europe dans le XXIe siècle.