LATITUDES

Une France devenue invincible

Les Bleus doublent la mise en remportant l’Euro deux ans après la Coupe du Monde. Mais les Français sont passés tout près de l’enfer. A 40 secondes de la fin du temps réglementaire, la Squadra Azzurra avait presque conquis le trophée.

L’affaire est dans le sac. Archi favorite de l’Euro 2000 avant le début de la compétition, l’équipe de France a gagné un nouveau titre majeur, comme s’il s’était avéré impossible de la freiner dans son inéxorable marche vers le titre. Car les Bleus ont eu beaucoup de chance dimanche soir dans le stade De Kuip de Rotterdam pour parvenir à leurs fins.

La chance, à ce niveau-là, ne sourit qu’aux grandes équipes, l’adage est bien connu. N’empêche, depuis dix jours, la Providence n’a jamais quitté le prodige Zidane et ses camarades. En quarts de finale, l’attaquant madrilène Raul ratait le penalty qui aurait contraint les Français à jouer une prolongation éprouvante et potentiellement risquée. En demi-finale, rebelotte, avec une victoire des Bleus sur le Portugal arrachée à trois minutes de la fin des prolongations par un «but en or» sous forme de penalty (transformé par Zidane).

Quant à la finale contre la Squadra Azzurra, on peut sans vergogne recourir à la parabole biblique. Après avoir frôlé l’enfer, les Bleus ont ressuscité par la grâce d’un but de Sylvain Wiltord à la 94ème minute, avant de crucifier les Transalpins sur une fantastique reprise de volée de Trezeguet après 13 minutes de prolongations.

La France ajoute ainsi le Championnat d’Europe des Nations (sa deuxième victoire dans la compétition après celle de la génération Platini-Giresse-Tigana en 1984) à la Coupe du Monde remportée un 12 juillet 1998 au Stade de France. Dispose-t-elle dès lors de la meilleure équipe de football au monde, d’une formation invicible dans les grandes occasions? Il serait sot de ne pas répondre par l’affirmative, tant le collectif actuel est riche d’individualités.

La victoire de Rotterdam, les Bleus la doivent à trois remplaçants qui n’ont presque pas joué durant les matches de l’Euro. Wiltord, Pires et Trezeguet font partie de ces joueurs barrés du onze de départ alors qu’ils auraient leur place de départ dans n’importe quelle autre équipe nationale européenne. Ils sont jeunes, prêts à remplacer les cadres vieillissants de la sélection comme Deschamps, Blanc ou Djorkaeff. En clair, la relève est assurée et permet déjà de placer les Bleus en grands favoris de la Coupe du Monde 2002 au Japon et en Corée du Sud.

Au-delà de cette victoire, et de la manière invraisemblable dont elle a été obtenue, il est intéressant de constater que les Français gagnent depuis qu’ils ont intégré toute la dimension psychologique de la «gagne», une qualité qui leur faisait défaut en 1982 et 1986 – à l’époque, l’équipe de Platini pratiquait le football le plus lêché de la planète, mais se montra incapable par deux fois de surmonter l’obstacle allemand en demi-finale de coupe du monde. On se souvient de la malédiction de Séville en 1982. Mais les Français, en changeant d’époque, ont changé de style. Aux artistes sublimes, mais un peu frêles et surtout très naïfs, a succédé une génération encore plus douée techniquement, dotée d’un physique irréprochable et surtout d’un moral en acier trempé, une qualité pas vraiment française jusque-là.

Aujourd’hui, les Bleus ne sont jamais aussi bons que quand ils sont menacés, et peuvent même prétendre, luxe absolu, à l’arrogance d’une équipe qui se sait indestructible. Les Italiens ont, objectivement, mieux joué la finale de l’Euro que les Français, et auraient dû en toute logique l’emporter. Seulement voilà, il leur manquait ce supplément d’âme, d’infaillibilité qui fait que la bande à Zidane parvient en fin de compte à remporter un match qu’elle avait perdu à 48 secondes du terme réglementaire. «La victoire est en nous» disait le slogan publicitaire de l’équipementier des Champions du monde de 1998.

«La victoire est en nous. Toujours.», répète le même slogan du même équipementier à l’occasion de l’Euro 2000. C’est sans aucun doute insupportable à vivre pour tous ceux que le chauvinisme tricolore désole, mais les Français ont réalisé un exploit unique sur le terrain. Il leur permet de justifier leur arrogance. Quand une équipe annonce avant le début de la compétition, forfanterie suprême, qu’elle va gagner l’épreuve parce qu’elle est tout simplement meilleure que les autres, et qu’elle y parvient contre vents et marées, deux attitudes s’imposent: détester cette équipe, parce que dans sa froide certitude elle méprise presque des adversaires moins doués qu’elle; ou alors la vénérer parce qu’une pareille détermination, alliée au sens du beau jeu, mérite un respect infini.

——-
Journaliste à Paris, Guillaume Dalibert a suivi tous les matches de l’Euro 2000 sur écran géant.