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Les prénoms, ces redoutables marqueurs

Adolphe, Kevin, Mohammed, Charlotte ou North? Quelle galère pour les parents de choisir un prénom qui ne portera pas préjudice à leur enfant!

«Kevin, vermine!… Kevin, mentalité rupine!… Kevin, fumet de latrines!… Kevin, Kevin!» Iegor Gran, dans «La revanche de Kevin» (P.O.L., 2015), permet à ses lecteurs de se glisser dans la peau douloureuse d’un Kevin qui, revanchard, s’attaque à un François-René. «Ce prénom débile: François-René. Comment faire prétentieux et plouc en même temps! Pas étonnant qu’il se soit fait embrouiller avec un prénom aussi cache-pot», assène le héros du roman.

Kevin appartient à la génération des années 1990. A Hollywood, Kevin Costner connaît le succès. Plus de 14’000 Kevin jaillissent du néant en France pour la seule année 1991. Le prénom devient le plus attribué du pays. Malheur à eux: quelques années plus tard, le bel Américain est nominé «Pire acteur de la décennie» aux Razzie Awards, où seul Sylvester Stallone le sauve de l’infamant trophée.

On découvre alors que les Kevin auraient tous les défauts du monde. «Ils deviennent des symboles de mauvais goût, de beaufitude, de superficialité. Un marqueur social de la médiocrité crâne, car on croit savoir quelles familles sont suffisamment sottes pour se laisser dicter leur vie par l’Amérique et Hollywood.» C’est du moins ainsi que le vit, le subit, le Kevin du roman. Les Adolphe, Apollin et Myrtille, du film «Le prénom», ne sont pas seuls à susciter des réactions épidermiques.

Le prénom est certes un marqueur social, mais aussi confessionnel. A Béziers, le maire, Robert Ménard, a fait le décompte des élèves musulmans à partir de leurs prénoms. Pour lui, «les prénoms disent les confessions». Conscients de cette stigmatisation dont pourrait être victime leur progéniture, les parents musulmans optent de plus en plus pour des prénoms reconnus dans plusieurs cultures et phonétiquement facile à prononcer.

A Buckingham, autres parents, autres préoccupations. Kate et William ont appelé leur petite fille Charlotte Elisabeth Diana. Un choix ancré dans la tradition. C’est comme si l’on disait à cette héritière: «Tu feras quelque chose de grand.» Cela peut être un lourd fardeau à porter, commentent les psychanalystes. Sans omettre que ces trois prénoms révèlent immédiatement que l’on a affaire à une fille.

Pas franchement dernière tendance le couple princier! Leur enfant se trouve ainsi marqué sexuellement, alors qu’aujourd’hui des parents optent pour des prénoms neutres ou unisexuels pour ne pas priver leur progéniture du choix de son genre. Sur la planète people, qui oriente le choix des fashionista, les prénoms bizarres attribués aux enfants de stars (Apple, Moon Unit, Diva Thin Muffin ou Marquise) cèdent la place aux prénoms unisexes (Wyatt, North, Ripley, Taylor ou Cameron).

Et si le prénom s’avérait aussi un marqueur de consommation? C’est là l’hypothèse récente défendue par Goldman Sachs. Pour la célèbre banque américaine, l’éventail de plus en plus large de prénoms traduirait avant tout un appétit des jeunes parents «pour des marques plus uniques». Car on peut, selon elle, comparer le prénom à une marque commerciale. «Ainsi, les parents conformistes, qui optent pour la tradition des prénoms classiques, seraient moins ouverts dans leurs choix de consommation. Les choix des jeunes parents, les ‘millenials’, ces générations nées à partir des années 1980, reflètent donc leur préférence pour les petites marques, leur rejet des traditions et leur état d’esprit ‘rupturiste’ et individualiste.»

Confrontés à un choix rendu de plus en plus difficile, les parents ont la possibilité de le déléguer à une entreprise suisse. La société «Erfolgswelle», spécialisée dans le «naming» et qui travaille avec des marques telles qu’Alstom, Galenica, Nestlé ou encore Swisscom, leur propose depuis le début de l’année, moyennant quelque 28’000 francs, de dégotter le prénom idéal pour leur bébé.

Vive ces futurs êtres idéalement prénommés! Puissent-ils, dans une vingtaine d’années, ne pas avoir soif de revanche.