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Manipulation mentale et furie antisecte

C’est une loi extrêmement bizarre qui vient d’être adoptée par le parlement français. Son but: lutter contre les sectes.

La France décidément n’aura jamais fini de m’étonner. On sait, personne n’a le droit de l’ignorer, qu’elle est le pays des droits de l’homme. Parmi ces droits de l’homme figure la liberté d’expression dont la revendication fut un des déclencheurs de la grande Révolution française que chacun, de l’extrême gauche à l’extrême droite, à l’exception de quelques royalistes ou maurrassiens attardés, porte encore aux nues plus de deux cents ans après.

A l’époque, les intellos, les écrivains, les philosophes en avaient marre de devoir publier anonymement leurs livres à Yverdon dans le canton de Berne ou à Neuchâtel chez le roi de Prusse. Les révolutionnaires adoptèrent donc la liberté d’expression avant de couper la tête de ceux qui ne partageaient pas leur avis.

Puis, la maturité aidant, il devint possible de publier à peu près n’importe quoi en France, sauf, jusqu’aux années 70, la littérature érotique et, en temps de guerre, des ouvrages dénonçant cette guerre.

Mettons que les décennies 70 et 80 furent les belles années de l’anti-censure. Puis vint la loi Gayssot visant à réprimer le racisme dont la Suisse s’est inspirée avec l’article 261 bis de son code pénal. Cette loi, même si elle défend une cause éminemment juste, porte atteinte à la liberté d’expression et il aurait mieux valu que le législateur cherche une autre issue pour punir l’appel au racisme.

Aujourd’hui, dans un grand silence médiatique – quelques lignes sans commentaires dans Le Monde et Libé par exemple -, l’Assemblée nationale passe à une vitesse supérieure avec une loi extrêmement bizarre visant à punir la manipulation mentale. Elle a été votée à l’unanimité par le parlement français le jeudi 22 juin.

De quoi s’agit-il? Voici la définition telle que rapportée par Le Monde: la manipulation mentale est «le fait, au sein d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer ou d’exploiter la dépendance psychologique ou psychique des personnes qui participent à ces activités, d’exercer sur l’une d’entre elles des pressions graves et réitérées ou d’utiliser des techniques propres à altérer son jugement afin de la conduire, contre son gré ou non, à un acte ou une abstention qui lui est gravement préjudiciable.»

Ce nouveau délit sera puni de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 francs d’amende. Vous avez compris? Moi non plus. Mais j’ai une petite idée.

La France reprend un délit qui existe en Italie et qui s’appelle là-bas, au pays de Padre Pio, Maria Goretti, Jean Paul II (ah, le troisième mystère de Fatima!) et j’en passe, le délit de piaggio (mise sous influence) grâce auquel le psychanalyste Armando Verdiglione fut naguère envoyé derrière les barreaux pour réfléchir au risque que représentaient des honoraires trop élevés payés par une patiente jeune et avenante.

Dans sa furie anti-secte, le parlement français s’aligne, en digne représentant de la fille aînée de l’Eglise, sur les positions les plus rétrogrades défendues par le Vatican via la loi italienne. Dans le genre, il n’y a qu’une secte valable, c’est la nôtre!

Comme il n’est pas interdit de rêver, imaginons la réaction du parquet si un quidam dépose plainte contre l’Eglise catholique pour manipulation mentale en exigeant une expertise scientifique et judiciaire sur l’eau bénite vendue à Lourdes.