LATITUDES

Le plein de soleil

Le potentiel maximal de l’énergie solaire ne pourra être exploité qu’une fois la question du stockage résolue. Tour d’horizon des solutions envisagées.

L’énergie solaire cumule de nombreux avantages: illimitée, disponible partout, propre et gratuite, elle pourrait subvenir 8’000 fois à nos besoins. Toujours plus chère que les énergies fossiles, son coût a cependant nettement diminué ces dernières années.

Pourtant, un obstacle demeure: comme le vent, le soleil n’est pas présent 24h/24. La nuit, ou par temps nuageux, les générateurs électriques doivent combler ce manque. Pour Ib Chorkendorff, physicien à la Danmarks Tekniske Universitet (DTU), si les pays veulent diminuer leur dépendance envers les énergies fossiles, il faut améliorer le stockage des énergies renouvelables.

Une manière de stocker l’énergie est d’utiliser l’énergie hydraulique, en remplissant d’eau un réservoir en altitude par pompage lorsque la demande en électricité est faible. Lorsque la demande augmente, l’eau peut alors s’écouler et actionner des turbines. Toutefois, les sites exploitables sont rares, et la construction des installations coûteuse. Pour les mêmes raisons, les batteries ne seront sans doute pas non plus utilisées à grande échelle dans un futur proche.

Mettre le soleil en bouteille

C’est ici qu’entre en jeu «l’énergie solaire thermique à concentration» (Concentrating Solar Power, CSP). Ce système utilise des rangées de miroirs paraboliques dont les foyers sont traversés par des tuyaux au sein desquels circule un fluide caloporteur. Une partie de ce fluide chauffé par les rayons solaires passe dans un échangeur de chaleur et génère de la vapeur qui active une turbine. Dans un deuxième échangeur, le fluide restant va chauffer une autre substance, en général du sel fondu. La nuit, le fluide froid est réchauffé par le sel chaud et repasse à travers le générateur de vapeur pour continuer à produire de l’électricité. Le système peut ainsi fonctionner en permanence.

Pour que le CSP concurrence les énergies fossiles, son stockage doit être moins onéreux et plus productif. Une possibilité serait d’utiliser une seule substance pour le transfert de chaleur et le stockage. Ce dispositif éliminerait la nécessité d’un échangeur de chaleur, et pourrait même accroître l’énergie stockée, augmentant le rendement et réduisant les volumes. La centrale Archimède en Sicile, d’une capacité de 5 MW, où le sel fondu assure les deux fonctions, peut ainsi stocker des températures allant jusqu’à 550 °C, contre 400 °C pour les centrales CSP utilisant des huiles de synthèse. Toutefois, Fabrizio Fabrizi, de l’Agence italienne pour la recherche énergétique (ENEA), explique que le rendement d’Archimède est limité par la nécessité de chauffer les tuyaux, car les sels se solidifient en dessous de 240 °C. Des chercheurs ont mis au point des sels qui ont des points de fusion moins élevés, mais ceux-ci sont pour l’heure trop onéreux.

Une tour de lumière

Une autre possibilité est de se débarrasser des miroirs paraboliques et d’utiliser des réflecteurs au sol pour concentrer les rayons du soleil sur un module de réception situé en haut d’une tour. Ces «tours solaires», comme celle de la centrale Gemasolar dans le sud de l’Espagne, d’une capacité de 20 MW, utilisent du sel fondu à la fois pour le transfert de chaleur et le stockage. Elles fonctionnent à des températures plus élevées que des centrales CSP traditionnelles, tout en nécessitant moins de sel fondu. La nuit, le sel peut être drainé et maintenu à l’état liquide en utilisant relativement peu d’énergie.

Au Fraunhofer-Institut für Solare Energiesysteme ISE de Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne, des chercheurs explorent une solution alternative consistant à faire fondre du sel solide plutôt qu’à augmenter la température de sel déjà fondu. Permettant de stocker plus d’énergie dans un volume donné et avec un différentiel de température limité, ce procédé serait idéal pour la génération directe de vapeur, une forme de CSP peu coûteuse et très productive qui utilise l’eau pour le transfert de chaleur. Selon Verena Zipf, de l’institut Fraunhofer, un prototype a été construit en collaboration avec un partenaire industriel et un modèle fonctionnel pourrait être commercialisé d’ici à trois ans.

Hydrogène solaire

L’un des points forts de la CSP est sa capacité à conserver une part d’énergie solaire pour un usage ultérieur. Le photovoltaïque, actuellement plus populaire, ne présente pas cette possibilité, les rayons incidents étant directement convertis en électricité, plus difficile à stocker. Pourtant, des chercheurs tentent actuellement de stocker cette électricité grâce aux liaisons chimiques des molécules d’hydrogène.

L’électrolyse est un procédé utilisant l’électricité pour créer de l’hydrogène. Lorsqu’un courant électrique traverse de l’eau (H2O), l’anode, chargée positivement, capte les électrons des atomes d’hydrogène. Les molécules d’eau se décomposent alors en molécules d’oxygène, attirées par l’anode, et en molécules d’hydrogène, attirées par la cathode, chargée négativement. Bien que cette méthode soit connue depuis plus de deux cents ans, la difficulté consiste à optimiser le pourcentage d’énergie électrique transformée en liaisons chimiques. Dans la photosynthèse des plantes, celui-ci ne dépasse guère 1%. Les scientifiques cherchent à développer des appareils commercialisables permettant de réaliser des pourcentages à deux chiffres.

En septembre 2014, Michael Grätzel et ses collègues de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), en Suisse, ont annoncé avoir converti 12,3% d’énergie solaire en hydrogène. Plutôt que de se servir de leurs cellules photovoltaïques à pigments photosensibles pour générer de l’électricité, ils les ont connectées à un électrolyseur contenant des électrodes de nickel et de fer.

A la DTU, Ib Chorkendorff, lui, veut créer un appareil permettant à la fois de collecter de l’énergie et de produire de l’hydrogène. Il s’agit d’un semi-conducteur fournissant des électrons et des charges positives à des catalyseurs générant de l’oxygène et de l’hydrogène. Son but est d’utiliser deux semi-conducteurs différents pour extraire le maximum d’énergie des photons rouges comme des photons bleus. «De tels systèmes binaires sont déjà utilisés sur des satellites, mais sont trop coûteux pour des surfaces importantes.»

Transformer le CO2 en gaz naturel

L’hydrogène ainsi produit pourrait être utilisé soit dans des piles à combustible pour alimenter des véhicules, soit dans des centrales à gaz. Toutefois, certains chercheurs estiment que l’énergie stockée dans l’hydrogène pourrait servir à fabriquer d’autres combustibles. Le gouvernement allemand a mis en place le projet «iC4», qui vise à optimiser la transformation de dioxyde de carbone en gaz naturel par ajout d’hydrogène. En utilisant un catalyseur à base de nickel et un nouveau type de réacteur, Bernhard Rieger, porte-parole d’iC4, et ses collègues de la Technische Universität München ont augmenté de 65 à 95% la part de dioxyde de carbone convertie en méthane. «Notre procédé est désormais commercialisable», explique-t-il.

Mais pourquoi produire du méthane si ce processus requiert lui-même de l’énergie? Pour Bernhard Rieger, c’est une question d’infrastructure. Contrairement au méthane, il n’existe encore aucun système d’approvisionnement en hydrogène à l’échelle mondiale. Les pipelines adaptés au méthane, principal composant du gaz naturel, ne permettent pas le transport de gaz contenant plus de 4 ou 5% d’hydrogène. Pour que l’hydrogène devienne intéressant, il faudrait investir dans un nouveau système de pipelines. Il ajoute cependant: «Les deux points de vue se défendent. Reste à voir lequel l’emportera.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 4).