LATITUDES

Rencontrer son double sur Meetic

Qui se ressemble s’assemble… Les personnes qui unissent leurs destinées correspondent le plus souvent au fameux adage. Un phénomène encore accentué par les sites de rencontre.

Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, je vivais une relation homogame en l’ignorant. Il se pourrait que je ne sois pas seule dans cette situation. C’est à la lecture d’une étude portant sur le mariage que je dois cette découverte. Jusque-là, l’homogamie me renvoyait à de vagues souvenirs scolaires. En botaniques ne parle-t-on pas de fleurs homogames? Or, les humains peuvent porter la même étiquette, avec une autre acception. Le terme s’applique alors aux mariages. En sociologie, l’homogamie est le fait de rechercher un conjoint dans le groupe social auquel on appartient. On parle aussi d’homogamie de religion, de culture, d’opinion politique, d’âge, etc. Ce terme a pour antonyme l’hétérogamie.

Longtemps, les familles veillaient à ce que les époux soient bien assortis. Puis, émancipés de la tutelle familiale, les futurs conjoints sont devenus libres de se marier avec qui bon leur semble. Le mariage de raison a laissé place au mariage d’amour avec Cupidon comme entremetteur.

La première grande étude portant sur le choix du conjoint dans ce nouveau contexte remonte à 1959. Alain Girard y concluait que «la propension des homo-sociaux, c’est-à-dire des conjoints de même condition sociale, l’emporte largement, plus de deux fois, sur ce que donnerait une répartition au hasard des unions». Depuis, de nombreux travaux ont montré la persistance d’une forte homogamie sociale. Avec l’accès des femmes aux études et au monde du travail, les patrons épousent moins fréquemment leur secrétaire, les pilotes une stewardess, les médecins une infirmière (ou alors après leur divorce d’avec une camarade d’études). Les baronnes de Rothschild sont devenues des denrées rares! En Suisse, trois quarts des couples ont des formations professionnelles semblables.

Parship, Lovoo ou Tinder n’ont pas opéré de révolution dans le choix d’un conjoint. Les couples qui se forment «online» (un tiers des couples actuels en Suisse) demeurent majoritairement homogames. Les mécanismes de sélection à l’œuvre conduisent à ce que, sur les sites comme «offline», ceux qui se ressemblent s’assemblent. Le recours à l’élargissement du champ d’investigation et la multiplication des rencontres ne semblent pas avoir modifié la donne antérieure.

Analysées par des algorithmes qui se focalisent davantage sur le similaire que le complémentaire, les caractéristiques du partenaire recherché débouchent majoritairement sur la quête d’un semblable. Le sociologue Dietmar Wetzel, qui étudie le phénomène à l’université de Berne, confirme dans la «NZZ am Sonntag» que «l’homogamie est une tendance actuelle». Pour lui, elle est devenue l’idéal des nouvelles relations alors que l’on imaginait qu’internet allait, à l’inverse, contrer ce processus.

Pour son confrère de l’université de Zurich, Klaus Preisner, il s’agissait là, d’une projection bien romantique: «Dans un lieu dépourvu de hiérarchie sociale, des algorithmes magiques allaient mettre en contact des individus en fonction de leur seule personnalité; des êtres qui ne se seraient pas rencontrés dans la vie réelle.» Or, il n’en est rien.

Sur le web, l’utilisateur a beau être caché derrière un avatar le présentant à son avantage, son niveau éducatif ou culturel transparaît rapidement au fil des messages. Les fautes d’orthographe suffisent souvent à disqualifier un partenaire potentiel. L’adage «qui se ressemble s’assemble» n’est pas en voie de disparition. Les couples qui se sont connus «online» le maintiennent bien vivant. Les clivages sociaux ne se gomment pas avec l’usage grandissant des sites de rencontres. Les riches épousent des riches, les pauvres des pauvres, les Noirs des Noirs, les Blancs des Blancs, les chrétiens des chrétiens, les musulmans des musulmans. L’homogamie, qu’elle soit sociale, raciale ou religieuse se porte bien.

A l’heure de se mettre en couple, l’hétérogamie continue de manquer d’attractivité. Mais sur les sites de rencontres extra-conjugales, la quête du dissemblable doit vraisemblablement prévaloir. A quand une étude à ce sujet?