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L’esprit de Singapour

Avec son nouveau combat contre le «littering», la Suisse ajoute un point commun avec le dragon asiatique. Ne reste que la démocratie directe pour se distinguer. Jusqu’à quand?

Se débarrasser des ordures. Et faire un mauvais sort à ceux qui les jettent n’importe où. Une forme d’incivilité qui s’appelle le «littering». Un phénomène que la Suisse, dont la propreté est aussi proverbiale que l’onctuosité de son chocolat et de ses mansuétudes fiscales, ne pouvait évidemment plus tolérer.

La Commission de l’environnement du Conseil national a donc concocté un projet d’interdiction fédérale. En gros des amendes d’ordre allant de 100 à 300 francs pourront être infligées aux malotrus qui abandonnent leur détritus dans l’espace public. Par détritus il faut entendre: emballages, bouteilles, canettes, sachets en plastique, restes de repas, chewing-gums, mégots, on en passe et des moins ragoûtants. Et par malotrus, les «personnes de plus de quinze ans», un seuil qui promet déjà une avalanche d’impunités.

Avec ce nouveau combat, la Suisse semble vouloir devenir plus singapourienne que Singapour. L’île merveilleuse où cracher par terre, jeter un mégot ou un morceau de chewing-gum sur le trottoir est depuis longtemps passible d’amendes autrement corsées –1000 dollars singapouriens, soit 730 francs suisses. La vente de chewing-gum y est simplement interdite, sauf en pharmacie, contre certificat médical et pièce d’identité.

Déjà que les parallèles avec Singapour étaient frappants. Le rêve d’une île prospère comme hors du monde. L’entretien, contre vents et marées contraires, d’une solide réputation de grande blanchisserie universelle. Sans parler du nombre de millionnaires au mètre carré: Singapour se targue de la plus forte densité au monde, devant Hong Kong, la Suisse justement, le Qatar et le Koweït. Ni de son sympathique sobriquet de «Suisse de l’Asie».

Singapour pousse même le mimétisme jusqu’à avoir inscrit dans sa constitution quatre langues officielles — l’anglais, le mandarin, le malais et le tamoul. A revendiquer une économie de marché «transparente et exempte de corruption». A posséder le plus faible taux de fécondité au monde (0,8 enfant par femme). On s’y croirait presque.

La seule vraie différence, c’est la démocratie directe. Singapour ne s’embarrasse guère de ces fines et interminables arguties. Le pouvoir est y fort, limite autoritaire et un brin héréditaire. La même famille est au pouvoir depuis l’indépendance.

Les différences pourtant sont faites pour être gommées. Les initiatives populaires en Suisse, votations après votations, n’excitent-elles pas contre elles une colère de plus en plus répandue? En mettant tout le pays et ses scrupuleux dirigeants dans la plus noire des panades, à l’image du vote contre la libre circulation. Ou ne valant même pas le timbre de l’enveloppe, voire l’essence utilisée, pour déposer son bulletin. À l’exemple des initiatives balayées, humiliées même, du PDC sur la défiscalisation des allocs, ou la taxe énergétique des Verts soi-disant libéraux.

Christophe Darbellay, président défait, parmi les motifs de la déroute invoque d’ailleurs nommément «une certaine lassitude face aux initiatives populaires» qui auraient plombé le texte. A force donc on pourrait bien y venir: laisser tomber une fois pour toutes ce folklore démoralisant.

Les fossoyeurs les plus efficaces sont sans doute à rechercher parmi ceux-là mêmes qui portent la démocratie directe en emblème, comme un saint-sacrement. A cet égard, la nouvelle initiative de l’UDC, qui propose d’inscrire dans la constitution la suprématie du droit national sur les législations internationales, ce qui aurait entre autres comme conséquence la dénonciation probable de la Convention européenne des droits de l’homme, pourrait faire fort. Les initiants, qui l’ont dans le collimateur depuis toujours, s’en défendent à peine.

Singapour n’est-il pas la preuve que les chichiteries droit-de-l’hommistes, on peut s’asseoir dessus sans trop de dommages, du moment que l’on reste maître chez soi et que les affaires continuent? En toute transparence.