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Les secrets de Pinochet bientôt au grand jour

L’armée chilienne commence à plier: elle serait prête à ouvrir ses archives sur les heures noires de la dictature. La levée de l’immunité d’Augusto Pinochet doit être confirmée avant la fin du mois. De notre correspondant à Santiago du Chili.

«Aujourd’hui, nous sommes en train de faire un grand pas vers la réconciliation nationale», annonçait, triomphant, le président chilien Ricardo Lagos mardi dernier devant un parterre de personnalités de la société civile et de l’armée. Les raisons de sa jubilation au 100e jour de sa présidence? L’accord conclu par les membres de la «mesa de dialogo» (table de négociation) selon lequel l’armée serait disposée à ouvrir ses archives sur la période noire de la dictature et même à révéler (par l’intermédiaire de religieux tenus par le secret de la confession!) où se trouvent les cadavres des disparus.

Ouvert il y a neuf mois sous la présidence d’Eduardo Frei, le dialogue entre différentes forces du pays (armée, société civile, défenseurs des droits de l’homme) a été accéléré par la levée, le 5 juin, de l’immunité de l’ancien dictateur Pinochet par la Cour d’appel de Santiago et son renvoi devant la justice pénale pour séquestration de personnes. Cinq jours plus tard, ses avocats ont déposé un recours devant la Cour suprême dont le président a aussitôt fait savoir qu’une décision serait prise ce mois encore.

L’opiniâtre juge Juan Guzman qui enquête sur les crimes de la dictature a fondé sa demande de levée de l’immunité sur des faits précis: les activités de la Caravane de la mort, une unité militaire qui, en 1973, a parcouru le Chili en hélicoptère, fusillant au passage au moins 72 personnes. La majorité de la Cour d’appel a admis ses arguments. A l’époque, le général Sergio Arellano Stark, commandant de la Caravane de la mort, avait agi sur ordre direct du général Pinochet qui couvrit ensuite ses activités.

Deuxième élément important: le témoignage de l’ex-général Joaquin Lagos qui affirme avoir informé Pinochet des irrégularités commises par la Caravane sans qu’il prenne de sanctions. Les juges retiennent l’inculpation de «séquestration qualifiée» en tenant compte de ce que les corps des victimes n’ont pas été retrouvés.

Les avocats de l’ex-dictateur sont consternés. L’un d’eux, Gustavo Collao qualifie la décision d’«offense judiciaire». Un autre, Ricardo Rivadeneira, a précisé que le recours à la Cour suprême était fondé sur le manque d’indices concrets impliquant Pinochet dans les crimes commis par la Caravane de la mort et sur ses qualités de chef d’Etat à l’époque des faits. Ce faisant, la défense entre sur le plan pénal et fait passer au second plan ses traditionnels arguments sur l’état de santé de son client.

Le gouvernement fait valoir son respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire pour se tenir en retrait des polémiques. Pour sa part, le président Ricardo Lagos a déclaré qu’il ne pensait pas que l’immunité attribuée aux anciens président par le Parlement en mars dernier soit valable si l’un de ces ex venait à quitter son poste de sénateur à vie. L’allusion à Pinochet est directe, ce dernier ne cachant pas sa volonté de se retirer complètement de la vie politique tout en conservant ses privilèges.

L’opinion dominante estime que la Cour suprême confirmera la levée de l’immunité parlementaire, mais qu’elle ordonnera en même temps des examens médicaux dont le résultat attendu mettrait l’ancien dictateur à l’abri de poursuites judiciaires en raison de son état de santé. Cette hypothèse est renforcée par le compromis que vient d’accepter l’armée: si elle livre des indications précises permettant de retrouver les corps des disparus, la réconciliation nationale espérée par le président Lagos a de réelles chances de voir le jour, mettant un point final à la transition vers la démocratie.

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Juan Barrios, journaliste, travaille à Santiago du Chili. Cet article a été adapté par Gérard Delaloye.