Eric Cantona raconte comment il gère son image et ses relations avec ses luxueux sponsors. Vous avez dit choc des cultures?
Dans le cadre d’un récent dossier sur le sponsoring, Swissquote Magazine (no 2/2014) avait interrogé des experts et des marques sur la forte percée de cette forme de publicité. Cette fois, nous passons de l’autre côté du miroir, avec le point de vue d’une égérie. Et pas n’importe laquelle: Eric Cantona, le «King» du football, vénéré aujourd’hui comme hier à Manchester et à travers la planète. Le Marseillais était récemment de passage à Neuchâtel pour promouvoir la marque horlogère suisse Hautlence, dont il est le nouveau visage.
Nike, Sharp, Pepsi, Bic ou encore Renault ont déjà fait appel à ses services, dans des campagnes qui se caractérisaient par une forte dose d’humour et de provocation, à l’image de leur modèle. Mais avec Hautlence (anagramme de Neuchâtel), une marque horlogère dont les modèles les plus abordables sont proposés à environ 20’000 francs, Eric Cantona fait son entrée dans le monde très sélect de l’ultra-luxe, traditionnellement plutôt classique dans son approche publicitaire. Alors, un choc des cultures? «Un cuisinier disait que son objectif était de créer une glace chaude», lance l’ancien Red Devil, avec son habituel sens de l’ellipse.
Cet «Ubu roi» à la stature olympienne n’hésite pas à mettre la main à la pâte dans des domaines à mille lieues du football. Car la collaboration ne s’est pas limitée à une campagne photographique: Eric Cantona a participé à la conception d’une série limitée de garde-temps baptisée «Invictus Morphos», inspirée de motifs de papillons bleus. Entretien.
Vous êtes sans doute très sollicité pour du sponsoring. Comment gérez-vous votre image de marque?
En famille. Quand je reçois une proposition de collaboration, je l’étudie avec mes deux frères. On travaille ensemble depuis longtemps. Nous sommes assez complémentaires. Moi, je suis peut-être plus charnel. Eux sont plus mesurés, plus stratégiques. Mais ils ont aussi ce grain de folie. Il faut qu’on ressente de l’amour, de la passion, de l’énergie!
Qu’est-ce qui vous fait accepter ou rejeter une collaboration?
On ne peut pas accepter n’importe quelle proposition, parce que c’est telle ou telle marque. Ce qui justifie nos choix, c’est d’abord qui fait quoi. Ensuite, ce qu’on nous propose de faire. Et ensuite on parle d’argent. Il faut que ce soit une marque qu’on aime et qu’on respecte. Le scénario doit nous plaire. Il faut que ce soit fort, décalé. Et pas un scénario bidon. Sinon, même si c’est pour une grande marque, on ne le fera pas. Même si c’est pour beaucoup d’argent, on ne le fera pas. Sinon on détruit des années de travail.
Votre approche du sponsoring a évolué depuis vos premiers spots TV dans les années 1990?
Aujourd’hui, je suis davantage dans une logique de collaboration. C’est le cas avec Hautlence. Avant, il y avait déjà l’importance du scénario. Maintenant, ça va plus loin, car on me donne les moyens de créer quelque chose. J’ai telle idée et ça devient possible. Il y a toute une équipe d’artisans qui sont là pour m’assister. Qui ne rêverait de créer ses propres œuvres? C’est comme la peinture, c’est extraordinaire.
Le domaine du luxe est assez conventionnel.
Ce n’est pas le seul.
Vous avez une image de rebelle…
Non, je n’ai pas une image de rebelle, j’ai une image de moi!
Hautlence a fait appel à vous dans le cadre d’un «Gentlemen Rebels Club».
Oui, parce que j’ai une certaine liberté. Je suis un peu plus libre que d’autres de dire ce que je pense. Mais je ne dis pas toujours ce que je pense. Heureusement, d’ailleurs.
Il y a quelques années, vous aviez dit que retirer l’argent des banques était une arme au pouvoir des citoyens. Est-ce que ce côté altermondialiste…
Attendez, je ne suis pas altermondialiste, moi. Je sais ce que vous allez me dire: «Vous êtes altermondialiste et vous faites de la publicité.» Non?
Est-ce qu’il n’y a pas une contradiction avec l’univers du luxe?
Si une société fait 60 milliards de bénéfice et qu’elle licencie 20 personnes parce qu’elle est un peu moins bénéficiaire qu’une autre société, ça me dérange. Mais je ne suis absolument pas contre le système. Pour que les gens aient du travail, il faut que des gens créent du travail. En même temps, les gens qui sont en position de faiblesse doivent trouver des moyens de se faire respecter. C’est de là qu’est née cette idée. Si tu veux être entendu, tu as une arme dissuasive. A condition d’être solidaire.
L’affaire ne vous avait-elle pas échappé? C’était un entretien dans un journal local et ça a fini par créer un «buzz» repris partout.
Tant mieux. C’est important de dire des choses qui créent le débat, parfois. Si on peut informer en lançant le débat sur toutes les chaînes, et pas juste certaines chaînes élitistes, c’est bien. Moi, je trouve même ça très bien. Une fois que j’ai fait ce que j’avais à faire pour créer le débat, mon rôle s’arrête là. Je n’ai même pas de «rôle» en fait. Je fais ce que je veux. Je dis ce que je veux. Les politiques s’en sont mêlés. Il fallait essayer de faire passer pour un con celui qui semblait avoir ouvert les yeux de tout le monde.
Ils ont réussi à ternir votre image?
Non. Ce n’est pas pour rien si ça a pris de telles dimensions et qu’on en a parlé dans 50 pays à travers le monde. Si des ministres s’en sont mêlés, c’est que ce n’était pas si bête. La nuance, c’est qu’on n’est pas là pour faire tomber le système. C’est ce qu’on a voulu faire croire. Avoir la possibilité de le faire pour être entendu, on appelle ça une arme dissuasive.
Vous êtes très populaire en Europe. La marque Hautlence veut percer en Extrême-Orient. Avez-vous aussi des fans en Asie?
Les Asiatiques sont des passionnés de football anglais. J’y suis allé plusieurs fois. C’est le championnat le plus regardé, et Manchester United est un club très populaire, depuis George Best. Moi, j’ai eu la chance d’être dans une grande période, dans un grand club, avec un grand entraîneur.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 5/2014).
