En France, les licences pour le système UMTS seront vendues à prix fixe. Les candidats seront départagés selon la qualité de leur dossier. D’autres pays, dont la Suisse, ont choisi les enchères, avec des effets pervers insoupçonnés.
En début de semaine, le gouvernement français a finalement décidé d’organiser un «concours de beauté» pour l’attribution des licences de la téléphonie mobile du futur. Les candidats seront sélectionnés en fonction de la qualité du dossier qu’ils présenteront. Jusqu’au dernier moment, la méthode des enchères – choisie par plusieurs autres pays d’Europe dont la Grande-Bretagne et la Suisse – a été évoquée.
Tout en évitant la vente au plus offrant, le gouvernement français n’a cependant pas voulu passer à côté de la manne que représente le système UMTS, successeur du réseau GSM utilisé pour les mobiles actuels. Les quatre gagnants du concours de beauté devront donc passer à la caisse. Les licences seront vendues pour 32,5 milliards de francs français chacune, totalisant un montant de 130 milliards de francs français (32,5 milliards de francs suisses) dans les caisses de l’Etat.
C’est l’exemple anglais qui a aiguisé les appétits du gouvernement Jospin et donné l’idée de la taxe: les enchères qui viennent de s’achever en Grande-Bretagne ont rapporté plus de 60 milliards de francs suisses aux autorités. La décision française du «ni-ni» comme dit Libération, intervient alors que les voix commencent à s’élèver pour contester la vente des concessions.
Dans une tribune publiée lundi dans le quotidien suisse «Le Temps », Bruno Giussani plaide pour l’attribution gratuite des licences. Selon le journaliste, correspondant pour l’Europe du magazine américain «The Industry Standard», les sommes payées par les opérateurs pour décrocher les concessions alourdiront inévitablement le prix payé par les consommateurs, ce qui risque de ralentir le développement et l’adoption des services UMTS et de mettre en danger l’avance de l’Europe dans le domaine du mobile.
Les enchères comportent par ailleurs plusieurs effets pervers: «Dans la mesure où il encaisse un maximum d’argent, le régulateur affaiblit l’assise financière des opérateurs et se retrouve moins bien placé pour fixer ses conditions, explique Bruno Giussani à Largeur.com. Les autorités peuvent exiger beaucoup plus d’un opérateur qui n’a pas payé des milliards pour obtenir une concession. Par exemple, elles peuvent faire pression pour une mise en place de la couverture plus rapide et plus vaste. Les enchères ne sont rien d’autre que des taxes anticipées sur un produit qui n’est pas encore sur le marché.»
A Berne, on défend le choix des enchères (qui devraient rapporter entre 6 et 10 milliards de francs à l’Etat). Fulvio Caccia, président de la Commission fédérale de la communication (ComCom), considère qu’elles constituent tout simplement «le meilleur moyen pour départager équitablement des candidats lorsque les ressources sont limitées». Par ailleurs, la ComCom veut éviter les soupçons de partialité (une plainte avait été déposée par Sunrise suite à l’attribution par concours de beauté des licences pour le GSM il y a deux ans). Dans les attributions sur dossier, on évoque souvent la puissance des lobbies; les gouvernements ayant une «tendance naturelle» à privilégier les opérateurs nationaux (dont ils sont actionnaires) dans la bataille, ainsi que leurs éventuels amis politiques.
La vente au plus offrant fait marcher la loi du plus riche, sans ambiguïté, quitte à étouffer les opérateurs nationaux au profit d’acteurs étrangers beaucoup plus puissants. Un argument que balayait récemment le président de la ComCom: «Les opérateurs GSM déjà présents en Suisse pourront faire des économies d’échelle en réutilisant en partie leur infrastructure comme les pylônes et les câbles qui les relient au réseau téléphonique. Du coup, ils pourront faire monter les enchères plus haut. Il y aura à coup sûr un, voire deux des opérateurs GSM parmi les gagnants, comme dans les autres pays européens.»
Les autorités suisses se réjouissent déjà de pouvoir utiliser l’argent récolté pour combler les déficits de l’AVS ou développer la formation dans les secteurs d’avenir. En gros, tout le monde est content: le processus des enchères séduit les libéraux – parce que la loi du plus riche stimule une saine concurrence – mais aussi la gauche car il s’apparente à une taxe visant à répartir les richesses récupérées aux gros industriels arrogants de la New Economy (nationaux ou, encore mieux, étrangers).
A part les opérateurs GSM, dont les grincements de dents sont restés discrets, personne ne s’est opposé jusque ici à l’idée des enchères en Suisse. Largeur.com se propose au passage d’ouvrir ici la discussion.
Le déséquilibre du marché constitue un autre élément à prendre en compte. «Les partisans des enchères oublient que le marché s’est globalisé, poursuit Bruno Giussani. Chaque pays applique pourtant sa propre politique: la Finlande et l’Espagne ont choisi le concours de beauté; la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Suisse, les enchères; la France et l’Italie une voie médiane. Du coup, les opérateurs nationaux se trouvent dans des situations très différentes. Celui qui ne doit pas payer pour une licence sur son marché intérieur obtient de fait une position de force pour investir à l’étranger.» Par exemple, France Télécom peut organiser sa stratégie en tenant compte que la licence UMTS ne lui coûtera pas plus que le montant fixé par les autorités sur son marché. Du coup, l’opérateur français pourra aller plus loin en Allemagne, où il a déjà postulé pour participer aux enchères.
Bruno Giussani conclut en évoquant une solution originale, le susucre: «Le régulateur pourrait ristourner une partie de l’argent obtenu de la vente aux enchères aux opérateurs, sous forme d’une prime après-coup. Par exemple, celui qui met en place la meilleure couverture et les services les plus performants dans un délai fixé reçoit quelques centaines de millions. Les enchères resteraient ainsi le moyen de partage des candidats, mais on supprimerait une partie des effets pervers par la suite.»
