CULTURE

Fantasia 2000, un remake léger comme un hamburger DeLuxe

La première version de la comédie musicale animée «Fantasia» berce l’imaginaire des mélomanes en culottes courtes depuis sa sortie en 1940. Alain Perroux aurait préféré que les studios de l’oncle Picsou en restent là…

Encore une illusion d’enfance qui s’effondre: ainsi donc «Fantasia», ce dessin animé musical qui illumina mes premiers pas de mélomane en culottes courtes, serait un sommet de daube à l’américaine, un hamburger DeLuxe pétri de bons sentiment, un digne ancêtre des fumeuses extases new-age, la rêverie musicale d’un Walt Disney qui aurait fumé de l’herbe sans rien perdre de son idéologie yankee et bien pensante? Je vous le demande parce que je ne me souviens plus très précisément de «Fantasia». Mais je viens de visionner «Fantasia 2000». Et j’ai bien peur que le ramage du premier film ne ressemblât fort au plumage de ce dernier opus.

Le principe, rappelé par une voix off, est déjà discutable: il s’agit de projeter sur grand écran et en technicolor les images que la musique symphonique fait jaillir dans la tête des auditeurs. Même si les animateurs revendiquent la subjectivité du procédé, il y a quand même quelque chose d’odieux dans cette manière de régenter les imaginaires. D’ailleurs c’est vrai, depuis que j’ai visionné «Fantasia» opus 1, je ne peux plus entendre la «Danse des Heures» de Ponchielli sans voir danser des hippopotames en tutus portés par des alligators lubriques. Et j’ai lutté pendant de nombreuses années avant de pouvoir me débarrasser de la désagréable impression que le «Sacre du printemps» était une musique pour film préhistorique.

Outre la nuance impérialiste du procédé, il faut voir ensuite de quel imaginaire visuel il s’agit. Passée une première séquence bâclée sur le premier mouvement de la 5e Symphonie de Beethoven (dessins relativement abstraits, car c’est de la musique allemande, vous comprenez…), les «Pins de Rome» de Respighi ont inspiré à un animateur qui avait sans doute abusé de la pina colada sans glaçon la lente évolution de gros cétacés vers un au-delà illuminé par le soleil. On s’attarde aussi un peu sur les circonvolutions de deux baleines flanquées de leur adorable bébé…

Bref, toutes les tares de la pensée Disney résumées en 10 minutes: l’exaltation de la famille, le recours au monde animalier, le regard attendri sur l’enfance innocente, dans un monde béat à connotation religieuse. On retrouve tous ces ingrédients mâtinés d’une touche d’écologisme démagogique dans la dernière séquence illustrant «L’Oiseau de Feu» de Stravinsky.

A d’autres instants, Disney joue sur son autre registre: le comique qui ne tache pas. D’où le final du «Carnaval des animaux» avec des flamants roses découvrant les joies du yoyo, d’où la «Rhapsody in blue» de Gershwin dans un New York calqué sur les dessins de Hirschfeld – sans doute le meilleur moment de Fantasia 2000. En revanche, la scène la plus horripilante marie ces deux styles pour un remake de l’arche de Noé où Donald Duck joue les trublions sur une musique d’Elgar qui porte bien son titre: «Pompe et circonstance», cette marche solennelle que la télé nous fourgue immanquablement dès que la reine d’Angleterre pointe le bout de son sac à main – le tout arrangé pour chœur et soprano, comme si cette musique n’était pas déjà suffisamment bruyante au naturel!

On se dit que l’entreprise serait plutôt réussie s’il s’agissait d’un dessin animé au troisième degré. Car entre chaque séquence, des grands noms du show-biz’ ou de la musique classique viennent présenter le programme de manière ludique. Mais la plupart sont pathétiques lorsqu’ils essaient de réciter avec naturel un petit texte bourré de calembours. D’autres donnent carrément dans l’humour involontaire – le moment où la grande Angela Lansbury vient annoncer le dernier tableau avec des airs de mamie au bord de la crise mystique a d’ailleurs fait pouffer la salle de cinéma où je me trouvais, ce qui n’était certes pas prévu. Et puis c’est sûr, pour donner un peu de charisme à la musique classique, il fallait peut-être s’adresser à un autre chef que James Levine, qui a autant de sex-appeal qu’un ourson dépressif. Tous ces «si» et ces conditionnels me font penser qu’au fond, ce dont «Fantasia» manque le plus cruellement, c’est de fantaisie.