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Vatican contre Gay Pride: un match qui fait vaciller le gouvernement italien

Le maire de Rome, de tendance gauche caviar, vient à son tour de retirer son soutien à la manifestation homosexuelle. Parce que toute la gauche institutionnelle recule face au Vatican.

Depuis sa fondation au lendemain de la dernière guerre mondiale, l’Italie est une République où, en principe, la séparation de l’Eglise et de l’Etat est acquise. Sans pour autant que l’influence du Vatican soit négligeable. Pendant un demi-siècle, le parti démocrate-chrétien a en effet dominé en maître la scène italienne, permettant ainsi aux éminences vaticanes de distiller conseils et directives de la manière la plus feutrée qui soit.

Il y eut certes quelques accrocs, notamment au moment du fameux référendum sur le divorce dans les années 70, mais rien de grave.

Aujourd’hui, c’est la guerre ouverte. Parce que le Cercle culturel homosexuel Mario Mieli a décidé (il y a deux ans) de faire de l’an 2000 un symbole de la fierté homosexuelle en organisant une World Gay Pride dans la Ville Eternelle. En plein milieu de l’année du Jubilé où les pèlerins catholiques sont attendus par dizaines de milliers sur la place Saint-Pierre.

Au départ, l’idée n’horrifia guère que l’extrême droite traditionnelle d’Alliance nationale et quelques dirigeants de la droite catholique dure téléguidés par le Vatican, sans que leurs glapissements n’ameutent l’opinion publique. Mais à un petit mois de la manifestation, l’affaire tourne à la foire d’empoigne. Au point que la semaine dernière, le nouveau chef du gouvernement Giuliano Amato en est arrivé à commettre une de ses gaffes qui brisent les reins d’un politicien au long cours. Dans un débat au Sénat, il s’est permis de s’écrier que malheureusement («purtroppo!»), la Constitution ne lui permettait pas d’interdire la parade honnie.

Alors que le scandale provoqué par ce malheureux regret n’est pas retombé, voici que le maire de Rome, Francesco Rutelli, élu sur une liste de centre-gauche, fait savoir qu’il retire son soutien à la manifestation: «La Ville de Rome défend la liberté de manifester de même qu’elle est convaincue des raisons de la tolérance. Mais elle ne peut accepter que le symbole et l’effigie de la ville soient utilisés dans un défilé de mode homosexuelle devant la basilique de Santa-Maria di Loreto.»

Francesco Rutelli fait partie de ce que l’on appellerait en France la gauche caviar. C’est un homme suffisamment instruit et cultivé pour avoir su, au moment où il accordait son soutien au projet de World Gay Pride, à quoi ressemblait cette manifestation. S’il recule aujourd’hui, c’est parce que toute la gauche institutionnelle recule face au Vatican.

Jean Paul II est décidé à ne pas se laisser gâcher son Jubilé. Les succès anciens et récents de ses pèlerinages, sa lutte tenace contre les défaillances de son corps, sa figure paternelle répercutée par les médias aux quatre coins de la planète lui donnent une stature qui dépasse largement celle des politiciens italiens. En ces temps où la coalition de gauche au pouvoir est affaiblie par ses échecs électoraux et ses divisions, personne n’ose affronter le maître du Vatican. Même si en droit international, le Vatican est un Etat indépendant de l’Italie.

Silvio Berlusconi, l’homme qui conteste depuis un an et demi la légitimité du gouvernement, s’est bien sûr précipité dans cette brèche: ses amis montent au front les uns après les autres. Avec des chances de succès. Car si la manifestation est interdite, la gauche ne s’en remettra pas. Si la manifestation est maintenue, les autorités peineront à faire donner les forces de l’ordre pour la protéger et jouent leur crédibilité.

Il y aurait bien sûr une solution apaisante, c’est que, dans un accès d’œcuménisme, le pape et ses cardinaux prennent la tête du cortège.