LATITUDES

Le nouveau monstre d’Airbus décollera-t-il à temps?

On saura dans quelques jours la date prévue pour le lancement commercial de l’A3XX, la paquebot amiral d’Airbus Industrie. Ce long courrier de 550 tonnes prendra-t-il son envol au début 2006 comme l’espère le consortium aéronautique européen?

Le lancement commercial de ce qui sera le plus grand avion civil de ce début du XXIe siècle devait être annoncé ce vendredi 26 mai. A l’occasion d’une visite chez Airbus la semaine passée, j’ai été parmi les premiers à apprendre que cette annonce était cependant renvoyée. Elle aura finalement lieu le 6 juin lors de l’ouverture du Salon de l’aéronautique de Berlin. La raison en est simple: il s’agit de profiter de l’occasion pour amadouer les Allemands de DaimlerChrysler Aerospace qui, avec la création d’EADS (European Aeronautic Defence and Space Company), prennent toujours plus de poids dans le secteur aérospatial, sans pourtant en retirer tous les fruits, notamment au niveau de l’emploi et du prestige: l’A3XX, sera assemblé à Toulouse en raison des infrastructures aéroportuaires insuffisantes de Hambourg, la métropole hanséatique où se montent les courts-moyens courriers A319 et A321.

L’éventuel futur super-gros-porteur européen, concurrent et successeur du Boeing B-747 américain, se retrouve au centre d’une aventure politique et financière. Le lancement de cet avion, toujours «provisoirement» baptisé A3XX (mais je prends le pari que le paquebot amiral d’Airbus Industrie portera cette désignation jusqu’au bout), coûtera au moins 10 milliards de dollars (17,3 milliards de francs au cours du jour) d’investissements. Mais les financiers, spécialistes du domaine, tablent plutôt sur 12 milliards de dollars et Boeing — qui a évidemment intérêt à jeter de l’huile sur le feu — insinue que 15 milliards seront nécessaires pour un marché d’à peine 320 avions sur 20 ans contre 700 au moins pour les stratèges d’Airbus. Et ce n’est guère qu’après le 300e exemplaire vendu que le consortium pourra espérer commencer à gagner de l’argent.

Restent aussi les problèmes techniques: le saut apparaît au premier abord moins important qu’entre les McDonnell Douglas DC-8 ou Boeing B-707 à 150 places des années 1960 et le B-747 à 350 places du début des années 1970. C’est faux, bien sûr. Pour propulser ce monstre de 550 tonnes au décollage (80 mètres d’envergure, 27 mètres de hauteur au sommet de la dérive) capable de rallier d’un seul coup d’aile disons Genève à Sidney, 16’000 km, avec 550 passagers, il faut quatre réacteur de plus de 40 tonnes de poussée, soit le double de ceux des premiers 747. Pour la construction, il faudra utiliser massivement les nouveaux matériaux (en particulier le Glare, mille-feuilles d’aluminium et de fibre de verre).

Naturellement instable comme tous les avions de chasse de dernière génération pour obtenir un centrage arrière et économiser du poids, ses commandes de vol électriques seront au nouveau standard Ethernet ultra-rapide. Le poste de pilotage, développé sur un simulateur baptisé EPOPEE (tout un programme!) correspondra au fin du fin des interfaces homme/machine: huit larges écran à cristaux liquides avec toutes les fonctions possibles et imaginables pour faciliter la tâche des équipages, des messages étudiés avec l’apport de la linguistique pour simplifier la communication informatisée (Airbus n’est pas Microsoft), un mini-manche à balai latéral comme sur les Airbus actuels, des tablettes de travail rétractables, tout est conçu pour augmenter la sécurité de l’avion et donc celle de ses passagers.

Voilà pour un projet qui se réalisera peut-être, pour autant qu’au moins quatre autres compagnies viennent rejoindre Emirates et Singapour Airlines dans leur intention de se procurer le nouveau gros porteur. Stratégiquement, le groupe Airbus Industries ne peut se permettre d’abandonner le créneau supérieur à son concurrent américain. Il lui a déjà taillé des croupières dans tout l’éventail allant du 100 places (A318) court-courrier au 350 places (A340-500) super long-courrier, en arrachant à Boeing plus de la moitié du marché. Reste le dernier créneau, celui du 747. Mais pour convaincre les compagnies, il faudra prouver que l’A3XX est vraiment d’au moins 15% meilleur marché au siège/km que le vieux 747 et que son prix de 250 millions de dollars n’est pas usurpé. Et si les Européens veulent que le nouveau géant entre en service au début de 2006, le feu vert pour la construction doit être donné avant la fin de l’année.