KAPITAL

«Je ne porte pas de vêtements Benetton»

La nouvelle publicité d’Oliviero Toscani montre une tache de sang et fait référence à la guerre en Yougoslavie. Est-elle vraiment efficace? Pierre Grosjean n’en est pas si sûr. Il en parlera à son coiffeur.

Quand une conversation m’ennuie, j’oriente la discussion sur les publicités Benetton. Ça marche à chaque fois. Tout le monde a un avis sur cette multinationale transalpine et sur sa manière d’utiliser une imagerie controversée pour «vendre des pullovers».

Avec mon coiffeur, par exemple, la technique fonctionne à merveille. En temps normal, on commence par parler de la météo, puis des lotions anti-calvitie («qui ne font pas repousser, mais qui ralentissent la chute»), avant d’entrer dans un long mutisme interrompu seulement par quelques phrases banales et le crépitement des ciseaux.

Mais quand Benetton lance une nouvelle campagne, notre conversation prend des tournures absolument passionnantes. Je me souviens de son avis sur les photos d’enfants handicapés (il trouvait ça très bien) et sur le tatouage HIV (il n’aimait pas). J’ai malheureusement oublié ses opinions sur le bateau chargé de réfugiés albanais, sur le nouveau-né non-lavé et sur les habits du soldat mort en Bosnie en 1994.

Ce soldat s’appelait Marinko Gagro. Les services de communication de Benetton ont rappelé son nom dans le communiqué publié hier à l’occasion de la nouvelle campagne, signée comme d’habitude Oliviero Toscani.

Une tache de sang sur fond blanc: cette image sera publiée dès aujourd’hui dans des journaux à grand tirage en Europe et aux Etats-Unis. Elle est accompagnée du logo du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR).

J’entends déjà les arguments des supporters de Benetton (il faut choquer les gens pour les sensibiliser) et ceux de ses détracteurs (Toscani instrumentalise les victimes de la guerre, les journaux qui en parlent lui font de la publicité).

Les arguments de Toscani n’ont pas changé eux non-plus: «Le seul média qui semble ne pas réaliser que nous traversons une guerre, c’est la publicité, écrit-il dans son communiqué. Avec cette image, nous entendons compenser ce manque de prise de conscience. Nous voulons attirer l’attention de ceux qui sont déjà sensibilisés et qui veulent vraiment s’investir pour l’aide humanitaire.»

«Nous ne faisons pas de distinction entre les victimes de ceux qui attaquent et les victimes de ceux qui sont attaqués, poursuit Toscani. Les enfants, les femmes et les personnes âgées, qu’ils soient assassinés par des bombes où à la suite d’un nettoyage ethnique, restent des enfants, des femmes et des hommes. Cette tache de sang salira nos journaux, à côté des publicités qui essaient d’évacuer cette réalité de nos consciences.»

Pour ma part, je défendrai la nouvelle campagne de Benetton avec des arguments très simples: l’imagerie de Toscani utilise un langage contemporain, confronte les citoyens à l’actualité et déclenche des discussions importantes. Et je n’ai pas l’impression qu’elle manque de respect à quiconque.

Mais mon coiffeur sait déjà tout cela. Il sait aussi que je ne porte pas de vêtements Benetton: je les trouve très quelconques.

Le marketing de Toscani est-il efficace sur ma personne? Commercialement: non. Intellectuellement: oui. Et bien dégagé sur les oreilles. On en reparlera dans la salle d’attente.

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Pierre Grosjean