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Chuck D et Napster en guerre contre l’industrie du disque

L’Amérique institutionnelle s’est longtemps méfiée des milieux hip hop, et vice versa. L’essence du rap est forcément contestataire (sans parler de l’esprit gangsta qui n’existe que par opposition aux pouvoirs publics). Mais en ce début de millénaire, l’essor de la Net Economy et la fin du règne clintonien provoquent quelques jolis retournements de situation, comme celui-ci: le plus vindicatif des rappers va rejoindre une émanation du Congrès pour réfléchir à l’avenir de la création musicale sur la planète Terre.

Mercredi prochain 24 mai, Chuck D en personne témoignera devant une commission parlementaire à propos de l’échange de musique sur le Net. On ne dira jamais assez qu’il s’agit là d’un débat crucial tant sur le plan économique que culturel (et donc politique).

Fondateur de Public Enemy et pionnier du rap subversif, Chuck D est l’un des rares musiciens d’envergure internationale à défendre le projet Napster, du nom de cette entreprise qui a mis au point un logiciel permettant l’échange gratuit de fichiers musicaux via le réseau (lire ici l’article de Largeur.com à ce sujet). Accessoirement, Chuck D est aussi l’une des plus grandes gueules de la gauche américaine, ce qui promet quelques belles empoignades rhétoriques lors de la séance – ouverte au public et aux médias.

Le débat est déjà incandescent. Ces dernières semaines, plusieurs artistes se sont mobilisés contre Napster, dans l’espoir de maintenir un respect rigoureux du copyright sur le Net. Le groupe Metallica et le rapper Dr Dre se sont même associés à leurs compagnies discographiques pour déposer plainte contre la jeune société fondée par une ingénieur de 19 ans, Shawn Fanning.

A tous les échelons de l’industrie musicale, on craint que ces échanges gratuits de fichiers ne fassent chuter les ventes de disques. L’utilisation de Napster est archisimple, et la qualité sonore d’un fichier MP3 très proche de celle d’un CD. En stockant sa discothèque sur son PC, l’utilsateur de Napster la met à la disposition de tous les internautes. Plus redoutable encore: le système d’indexation permet de retrouver n’importe quel morceau, ou presque, en quelques secondes.

Chuck D, pour sa part, défend fermement ce système de troc numérique. «J’ai la conviction que les artistes doivent se réjouir de l’apparition de Napster, a-t-il écrit dans une chronique du New York Times publiée le 29 avril. Nous devons considérer Napster comme une nouvelle forme de radio: un outil promotionnel propre à aider les artistes qui n’ont pas accès aux grandes stations et à MTV.»

Le leader de Public Enemy (qui a publié son dernier disque, «There’s a Poison Goin’ On» en format MP3) relève par ailleurs que les multinationales du disque ont mis en place un système de distribution qui étouffe toujours plus les petits labels. L’inflation des coûts de production, notamment ceux des clips vidéo, pousse les indépendants hors du circuit. A ses yeux, seul le Net peut rétablir un certain équilibre.

Grâce à Napster, dit-il, les jeunes artistes trouveront une audience en marge du système traditionnel de distribution, et cet avantage pèse plus lourd que le manque à gagner de l’industrie musicale.

Pour le porte-parole de la commission parlementaire qui a invité Chuck D, la question est dès lors de définir «comment les musiciens et les petits labels pourront tirer des revenus de ce dispositif». Afin que la régulation du Net ne profite pas aux seuls géants du disque. La bataille est idéologique.