LATITUDES

Elections genevoises: pour qui votent les personnalités?

Si les acteurs de la vie culturelle privilégient logiquement les candidats de gauche, notre sondage révèle quelques surprises dans les milieux de l’économie.

Paris, place de la Concorde, 2007: on se souvient de La Marseillaise entonnée par Mireille Mathieu au côté d’un Nicolas Sarkozy mal à l’aise sur cette scène au soir de la présidentielle. Contrairement à leurs homologues français, qui n’hésitent pas à afficher leurs soutiens, les personnalités suisses tendent à rester discrètes sur leurs affinités politiques.

A l’approche des élections cantonales genevoises, nous avons voulu savoir pour qui, parmi les 29 candidats à l’exécutif, allaient voter les artistes, entrepreneurs, sportifs ou intellectuels les plus en vue de la cité. Si la plupart s’en sont tenus à une stricte neutralité helvétique (lire ci-dessous), quelques-uns ont accepté de partager le contenu de leur bulletin.

Comme on pouvait s’y attendre, la gauche s’attire les faveurs des milieux culturels. L’acteur Jean-Luc Bideau, encarté au parti, votera pour les socialistes, «même s’ils s’embourgeoisent un peu», avec une préférence pour Anne Emery-Torracinta: «Elle est la plus sérieuse de tous et n’affiche pas d’ambitions personnelles.»

L’impétueux résident de Bernex, qui plaide pour «plus de justice et moins de magouilles», admire également l’ancien maire de Genève Rémy Pagani, candidat d’Ensemble à gauche: «Grâce à lui, Carouge a récupéré son tram!»

Anne Bisang, ex-directrice de la Comédie de Genève et fraîchement nommée responsable d’Arc en Scènes, se prononce aussi pour les socialistes, mais panachera sa liste avec les écologistes: «Je souhaite une Genève généreuse, ouverte à tous et sans discriminations. Sandrine Salerno est l’une des personnes qui représentent le mieux ces idées.» La candidate du parti à la rose est également adoubée par les DJ Lulúxpo (qui votent systématiquement de la même manière). La gauche ne détient pas le monopole des artistes. La styliste Solo-Mâtine votera pour le démocrate-chrétien Luc Barthassat, «ouvert, porté sur la culture et abordable»: «Les politiciens sont trop froids. Il apporte de la fraîcheur et de la simplicité.» Luc Barthassat peut aussi compter sur le soutien de son cousin, l’entraîneur assistant de l’équipe suisse de football, Michel Pont.

L’autre candidat du PDC, Serge Dal Busco, moins connu que son colistier, séduit notamment par sa proximité avec les milieux économiques et son expérience de chef d’entreprise: il fait partie du comité directeur de la Fédération des entreprises romandes (FER) et il est associé dans un bureau d’ingénierie qui compte une quarantaine d’employés. De nombreux responsables économiques verraient son élection d’un bon œil, à commencer par le directeur de la FER, Blaise Matthey, qui précise être «un ami personnel». Mais aussi l’entrepreneuse Helen Calle-Lin, patronne, notamment, de la Brasserie des Halles de l’Ile: «Serge Dal Busco connaît la valeur du travail et comprend les dirigeants. De plus, il possède beaucoup de connaissances pratiques.» La Sino-Américaine réserve également une voix pour Sandrine Salerno.

Parmi les sortants, les candidats PLR Pierre Maudet et François Longchamp bénéficient tous deux de l’appui de l’enseignant et écrivain Jean-Michel Olivier; le lauréat du Prix Interallié en 2010 pour L’amour nègre inclura aussi sur sa liste les femmes socialistes, «les plus intéressantes des candidates». Pierre Maudet reçoit en outre le suffrage du «commandant» Jean-François Duchosal, François Longchamp celui de l’architecte Inès Lamunière, «pour ses démarches en faveur de la mixité à Genève».

Du côté du MCG, qui rêve de faire son entrée au gouvernement, le ténor du parti, Eric Stauffer, revendique le soutien d’un ancien juge d’instruction et de plusieurs avocats de la place. Mais aucun d’entre eux n’a confirmé, à l’exception d’Olivier Péclard, dont la liste des clients inclut le Servette FC. «J’apprécie les candidats du MCG car ils n’ont pas peur de déranger.» Il donnera également une voix à l’UDC Céline Amaudruz.

Quant aux Vert’libéraux, représentés par Laurent Seydoux, ils obtiennent l’adhésion du directeur romand d’Avenir Suisse, Xavier Comtesse: «Je voterai pour cette formation, car je suis fatigué des autres partis, cela correspond au bobo que je suis.» Il se montre critique à propos de la campagne: «Cette élection est fondée sur des individus et plus tellement sur des sujets comme le logement, la sécurité ou les transports. Aujourd’hui, plus personne ne croit à une solution, même pas les politiciens eux-mêmes. C’est pour cette raison qu’ils jouent sur leur personnalité.»
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Ils ont refusé de répondre

«Dévoiler mon vote? Vous n’y pensez pas!» Plusieurs personnalités interrogées par nos soins n’ont pas voulu indiquer publiquement leurs préférences pour l’élection du Conseil d’Etat genevois du 6 octobre. Le chanteur Polar, de son vrai nom Eric Linder, également organisateur d’événements, se montre méfiant après avoir été catégorisé à gauche par le passé: «J’ai réalisé que pour conserver mon autonomie et mener à bien mes projets, il était important de ne pas être assimilé à un parti. Mais j’irai voter.» Même nécessité d’impartialité invoquée par Isabelle Graesslé, directrice du Musée international de la Réforme, et Roger Mayou, responsable du Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Pascal Décaillet, journaliste et animateur de l’émission Genève à chaud sur la chaîne locale Léman Bleu, ne se prononce pas non plus. Tout au plus ce fin connaisseur de la vie politique genevoise lâche-t-il qu’il a voté pour un «vent nouveau». Les écrivains Joël Dicker et Metin Arditi s’en tiennent au secret des urnes. Même discrétion des avocats Dominique Warluzel et Marc Bonnant, des personnalités qui ne répugnent généralement pas à donner leur avis.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.

(Collaboration: Audrey Ramat et Barbara Santos)