KAPITAL

Devenir indépendant, une liberté qui coûte cher

Lancer sa société implique souvent un important sacrifice salarial, qui nécessite de revoir son niveau de vie à la baisse. Conseils pour bien franchir le cap.

Adieu patrons trop exigeants, horaires trop contraignants, collègues agaçants. À nous la liberté, le choix de l’activité, la fierté de tout gérer, l’argent qui coule à flots. Attendez, on rembobine. Adieu patron, bienvenue liberté. Mais aussi sacrifices financiers. Se lancer à son compte est quasiment toujours synonyme de baisse de revenus. Impossible de donner un ordre d’idées, tant cette baisse dépendra de la situation personnelle.

«Si vous avez 25 ans et vous vivez chez vos parents qui assurent le couvert et le ménage, ce ne sera pas dramatique si votre affaire est un échec, note Thierry Feller, conseiller en création d’entreprise. Par contre, si vous êtes cadre en entreprise avec un emploi solide, marié et père de famille, les risques seront plus grands.»

Le spécialiste évoque le cas d’un ex-employé de banque gagnant autour des 20’000 francs par mois, qui s’est radicalement reconverti dans le travail du cuir en devenant sellier. «Il savait bien qu’il allait passer d’un gros salaire à pas de salaire du tout.» Mais l’ancien banquier a été soutenu par sa femme, également employée de banque.

Le couple est ainsi passé de 30’000 à 15’000 francs mensuels. Un gros sacrifice, mais il restait de quoi voir venir. On peut imaginer que la famille d’un cadre, habituée à un certain train de vie, aura du mal à se passer de loisirs et de vacances. Le projet envisagé est évidemment tout aussi déterminant. Y aura-t-il des employés à payer, des kilomètres à parcourir? «Il faut se poser les bonnes questions avant de démarrer. Quel sera votre modèle économique? Quelles seront vos dépenses? Si vous voulez devenir fournisseur d’électro-ménager de quartier par exemple, il vous faut un local, du matériel, de la publicité. Si vous vous lancez comme prestataire pur, sans sous-traitance, alors les coûts seront moins grands», résume Thierry Feller.

Pour amortir le choc, David Narr, coach en création d’entreprise chez Genilem, qui accompagne de nouvelles entreprises, conseille de se lancer tout en conservant en parallèle son activité salariée. «S’il est possible de garder un salaire, même à temps partiel, c’est mieux. Vous me direz que le projet avancera moins vite. Certes, mais vous prendrez moins de risques.»

Le statut de l’entreprise ne doit pas être oublié. «Quand je me suis lancé, je me suis mis en raison individuelle (RI), raconte Thierry Feller. Quand j’ai tout perdu, y compris ma maison, j’ai regretté de ne pas avoir été protégé par le statut de Sàrl (Société à responsabilité limitée)! Je dirais que si les risques sont élevés, mieux vaut le statut de Sàrl, même si les charges administratives sont plus élevées.»

«Pour généraliser, quand on se lance, il faudrait disposer d’un minimum de capital pour l’entreprise et de suffisamment d’argent pour pouvoir vivre six mois sans faire de chiffre d’affaires», indique Thierry Feller. «Les néo-entrepreneurs savent quasiment tous qu’ils prennent de gros risques, mais peu analysent vraiment la question pour savoir combien de temps il leur faudra pour entrer dans les chiffres positifs, souligne de son côté Henrique Schneider, responsable de la politique économique à l’USAM. La plupart partent de l’idée répandue qu’il leur faudra trois ans avant de réaliser des bénéfices.»

Du danger du 2ème pilier

Nombreux sont les futurs entrepreneurs qui décident de récupérer le capital accumulé par des années de salaire pour se lancer. Une démarche risquée, fortement déconseillée. «Le 2ème pilier est mis en place pour la prévoyance et la retraite. L’injecter dans un nouveau projet, c’est le détourner de son but initial, insiste David Narr chez Genilem. Et puis, on prend rarement de bonnes décisions quand on a tout d’un coup cette somme dans les mains. Certains le sortent par dépit et n’ont ensuite plus rien. Il devient alors vraiment difficile de rebondir.»

«Mieux vaut trouver d’autres moyens de financer son entreprise, selon Henrique Schneider. Il est intéressant de noter que ceux qui contractent des prêts seront priés par les créditeurs de présenter une analyse financière des risques. Les start-ups à capital externe sont souvent des entreprises moins risquées que celles avec des fonds propres.»

De manière générale, un capital de départ ne devrait pas aller en dessous des 20’000 francs, et les coûts juridiques ne doivent pas être oubliés. Frank Vidal, qui se définit comme un «agitateur d’entreprises» au sein de 2shake.ch, plaide pour les «business angels» comme lui, ainsi que pour les synergies et les partenariats. Les néoentrepreneurs ne doivent pas hésiter à aller frapper aux portes, à nouer des alliances, à échanger des fichiers d’adresses. «J’ai déposé une fois le bilan et j’ai compris que ma fierté était en cause. Je n’avais pas osé m’avouer que cela ne marchait pas, alors que j’aurais dû me tourner vers les banquiers, les fournisseurs et d’autres chefs d’entreprise. On peut être indépendant, mais pas sans alliance», estime-t-il.

Par ailleurs, celui ou celle qui se lance renonce de facto au 2ème pilier et à l’allocation chômage. «Il est recommandé de considérer ces allocations comme des coûts fixes «normaux» et de les payer comme si elles étaient obligatoires», indique Henrique Schneider. Difficile à réaliser la première année si la discipline n’est pas au rendez-vous. Si ces sommes sont trop élevées, il est recommandé de se constituer des réserves sur un compte personnel.

Les indépendants sont, comme les autres, soumis au 1er pilier (AVS, AI, APG), dont les cotisations seront calculées selon le revenu brut et la totalité est assumée par l’entrepreneur. Le 3ème pilier, facultatif, peut remplacer le 2ème pilier pour les néo-entrepreneurs. Autres assurances facultatives: l’assurance accident et l’assurance perte de gains en cas de maladie. Cette dernière est très fortement conseillée pour les indépendants, qu’ils aient ou non des collaborateurs.

«Je dis souvent que l’entrepreneuriat, c’est comme la plongée en apnée. Le trésor est à 50 mètres de profondeur, mais on ne peut pas l’atteindre en se précipitant, assure Thierry Feller. Il faut apprendre à descendre à 5, puis à 10 mètres. Ceux qui réussissent sont ceux qui connaissent bien le marché et sont prêts à faire de grands sacrifices.» La liberté de l’entrepreneur, on l’aura compris, a son prix.
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Liens utiles

Le site de Thierry Feller: cialis pharmacy prices
Les sites du SECO sur la création d’entreprises: cialis vancouver et www.startbiz.ch
www.businessangels.ch
Genilem
2shake.ch
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TEMOIGNAGES

Gimmi Grosso, fondateur GolfersPages.ch

Directeur financier dans une multinationale genevoise pendant 11 ans, Gimmi Grosso travaille depuis une année au lancement de GolfersPages.ch, une société qui promeut le golf en organisant des évènements et en proposant des offres liés à ce sport (séjours, initiations…) à prix préférentiel.

1. Gagnez-vous autant d’argent qu’à votre ancien poste?

Non, car je ne gagne rien depuis un an. L’activité de mon entreprise commencera d’ici à la fin de l’année 2013; je pense me verser un premier salaire en avril 2014. Je vis sur mes économies et j’ai essayé de réduire au maximum les investissements initiaux. J’ai dépensé environ 20’000 francs pour acheter du matériel promotionnel et créer mon site internet. En ce qui concerne le matériel pour l’évènementiel (bannières, habillement de lieu, simulateur de golf etc.), je le louerai à des partenaires lorsque j’en aurai besoin.

2. Comment avez-vous défini le prix de vos prestations?

J’ai regardé les tarifs de la concurrence aussi bien pour mon site de vente — je perçois un pourcentage pour chaque achat — que pour l’évènementiel. Pour cette partie de mon activité, je propose généralement des forfaits qui incluent la location et la mise en place du matériel et les heures de consulting.

3. Oserez-vous refuser des mandats?

Généralement non.

4. Avez-vous des frais de formation continue?

Non, car j’ai un bagage professionnel assez complet et autrement j’apprends sur le tas. Je m’intéresse aussi depuis longtemps à l’entrepreneuriat, je suis par exemple des conférences sur le sujet.

5. Comment gérer-vous vos charges sociales?

Je couvre moi-même mes charges sociales, telles que l’AVS ou l’AI. J’ai contracté une assurance accident, en revanche, tant que je n’ai pas de salaire, j’ai choisi de renoncer à l’assurance perte de gain. Je réactiverai aussi mon 2e pilier à ce moment-là.

6. Quels sont vos frais fixes?

Ils s’élèvent entre 800 et 1300 francs par mois. Cela inclut la location d’une place de travail au sein d’un golf indoor, les différentes assurances, les frais de communication et de déplacement.

7. Quel est votre objectif salarial?

Je savais en me lançant que je ne gagnerais pas autant qu’avant lors des premières années d’activité, j’ai fait ce choix pour pouvoir réaliser mes idées et jouir d’une plus grande flexibilité dans la gestion de mon temps. Si je parviens à me verser 5’000 francs par mois l’année prochaine, je serai satisfait.
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Nolvenn Dufay, fondatrice de Kids Up

Nolvenn Dufay a choisi de quitter la direction d’une fédération internationale pour lancer, en 2011, Kids Up, une espace qui offre des cours de gym et de cirque aux enfants.

1. Gagnez-vous autant d’argent qu’à votre ancien poste?

Je n’ai rien gagné pendant un an et demi, je vivais sur le salaire de mon mari. Aujourd’hui, je me verse 2000 francs par mois, alors que j’en gagnais plus de 10’000 auparavant.

2. Comment avez-vous défini le prix de vos prestations?

J’ai regardé les tarifs des autres sociétés qui proposent ce genre de cours pour enfants, je voulais être dans la moyenne des prix du marché.

3. Avez-vous déjà refusé des inscriptions?

Oui, si un cours est plein, je dois refuser des demandes, car je ne veux pas augmenter le nombre d’élèves par cours. Je tiens à maintenir une qualité et un cadre agréable pour les enfants et les moniteurs. Nous accueillons actuellement 450 élèves par semaine et tout autant lors des stages pendant les vacances.

4. Avez-vous des frais de formation continue?

Pas pour moi-même, mais pour mes employés, à qui je donne des cours de formation pédagogique et parfois je fais appel à des intervenants extérieurs.

5. Comment gérer-vous vos charges sociales?

Mon entreprise est une Sàrl, qui paie toutes les charges sociales de mes employés, dont les miennes. J’ai aussi contracté une assurance pour le matériel et une assurance perte de gain.

6. Quels sont vos frais fixes?

J’ai 4 employés, que je tiens à payer convenablement. La masse salariale représente environ 30’000 francs (charges sociales comprises) et la location de la salle coûte 6’000 francs. Cet espace va malheureusement être détruit, nous cherchons donc activement un autre lieu.

7. Quel est le chiffre d’affaires de votre entreprise?

Il s’élèvera à 400’000 francs environ en 2013. Mon objectif est de consolider ce qui a été fait ces 3 dernières années, et parvenir à me verser un salaire mensuel de 5000 à 6000 francs.
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Guillaume Chabry, fondateur de Le Fix

De manière progressive, Guillaume Chabry a choisi de quitter ses activités dans la restauration et au sein d’une association pour se consacrer en 2013 à Le Fix, un tea-room mobile qui sillonne les marchés

1. Gagnez-vous autant d’argent qu’à votre ancien poste?

Je gagne deux fois moins! Soit 3’000 au lieu de 6’000 francs. Je compense grâce à des économies réalisées en tant que salarié et j’essaie de réduire au maximum mes dépenses.

2. Comment avez-vous défini le prix de vos produits?

Je vends principalement du café et des pâtisseries. Pour définir le prix, j’ajoute, au coût des matières premières, un pourcentage pour les charges et le temps que je consacre à la confection.

3. Avez-vous déjà refusé des mandats?

Oui, lorsque on me sollicite pour un évènement privé un dimanche par exemple, et qu’il est prévu que je sois sur un marché. J’ai opté pour ce type de commerce pour être en priorité sur les marchés, j’adore l’ambiance qui y règne. Je suis seul et je n’ai qu’un triporteur, je dois donc faire un choix.

4. Avez-vous des frais de formation continue?

Je suis pâtissier-confiseur de formation, je confectionne donc moi-même tous les gâteaux. Quand j’aurai le temps, je prendrai des cours sur le café. Cela coûte environ 1000 francs.

5. Comment gérer-vous vos charges sociales?

Mon assurance accident s’élève à 30 francs par mois, en revanche l’assurance perte de gain coûte plus de 80 francs. J’ai même contracté une assurance qui me couvre au cas où un client se brûlerait avec un de mes cafés. Je paie aussi mon 2e et 3e pilier. Je n’ai rien voulu négliger.

6. Quels sont vos frais fixes?

Ils s’élèvent à 700 francs par mois. Cela inclut les espaces de location sur les marchés (de 8 à 15 francs la journée), les diverses assurances et la location d’un espace de travail chez un ami pâtissier.

7. Quel est le chiffre d’affaires de votre entreprise?

Je l’estime à 60’000 francs pour 2013, ce qui signifie qu’il a quasi doublé en une année.
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Jean-Luc Schmalz, coach, Actes.ch

Jean-Luc Schmalz a fait toute sa carrière dans l’éducation et la direction d’école. En 2001, il ose l’indépendance et fonde un petit cabinet de coaching de managers, actes.ch.

1. Gagnez-vous autant d’argent qu’à votre ancien poste?

J’ai eu de la chance, dès que je me suis lancé, j’ai obtenu un gros mandat de Ciba-Geigy à Monthey. Un mandat qui en a entrainé d’autres. Ce qui m’a permis, dès la première année de conserver mon salaire de directeur d’école, soit environ 130’000 francs annuels. Je ne cherche pas à gagner plus. Devenir indépendant uniquement pour gagner plus d’argent est très risqué. Avec ce but comme unique objectif, on a toutes les chances d’échouer.

2. Comment avez-vous défini le prix de vos produits?

Définir le prix de ses prestations est un vrai problème. Venant d’un milieu où je côtoyais des formateurs d’adultes, je me suis inspiré de leurs tarifs. J’ai donc établi le mien à 2500 francs la journée. Un tarif qui peut légèrement varier selon les mandats. C’est beaucoup moins cher que les grands cabinets internationaux. Globalement, dans la profession, on estime que le coût d’un coaching doit correspondre à environ 10% du salaire annuel de la personne coachée.

3. Avez-vous déjà refusé des mandats?

Refuser des mandats qui ne vous plaisent pas ou qui vous posent problème, surtout quand on commence à se faire un nom, c’est difficile quand on est indépendant. Mais je crois qu’il faut oser le faire, sinon, on perd rapidement sinon son âme du moins sa motivation. Et sans motivation, sa carrière d’indépendant va vite se terminer. Aujourd’hui, j’ai assez de clients pour me permettre de n’accepter que les mandats qui m’intéressent.

4. Avez-vous des frais de formation continue?

Un autre point important. Un indépendant ne doit pas négliger sa formation professionnelle, même dans le coaching, sinon il se déconnecte des besoins de ses clients et s’assèche. Personnellement, je consacre au moins trois semaines par an à la formation professionnelle, pour un budget de 20’000 à 25’000 francs annuels.

5. Comment gérer-vous vos charges sociales?

Un point essentiel. J’ai dès le départ exclu d’être une société simple et j’ai formé une SàRL, dont je suis le seul employé et qui me salarie. Certes, c’est une solution fiscalement pénalisante, puisque je paye des impôts sur le revenu mais aussi sur les bénéfices de la société. Mais je minimises ces derniers en réinvestissant l’essentiel de ces bénéfices. Par contre, le fait d’être salarié me permettrait de toucher le chômage, si tout se passait mal. J’ai aussi souscrit à une assurance perte de gains, qui coûte relativement cher, mais qui rassure ma famille. Et bien entendu, je ne néglige pas mon deuxième pilier, ce qui est aussi un point très important que les indépendants oublient parfois.

6. Quels sont vos frais fixes?

« Il faut savoir rester modeste. De beaux bureaux, une assistante, tout cela entraine des frais fixes rapidement importants. Je travaille seul, avec des bureaux aménagés dans une partie de mon appartement. Et je suis devenu multitâche. Mon métier principal est d’être coach, bien entendu, mais je suis aussi devenu comptable, marketeur et parfois homme de ménage. » je minimise donc au maximum mes frais fixes, qui tournent autour de 6000 francs par mois.

7. Quel est le chiffre d’affaires de votre entreprise?

Au final, si je prends en compte les coûts de fonctionnement de mon entreprise et mes charges sociales, pour me sortir un salaire annuel de 130’000 francs, je dois réaliser le double de chiffre d’affaires.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.