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Manger mieux pour vivre plus longtemps

S’alimenter sainement est devenu une obsession contemporaine. Quels régimes pour qui? Des spécialistes répondent.

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Dompter les calories pour gagner des années de vie s’est imposé comme un comportement largement répandu au sein de la population. Si répandu que près de 70% des Suisses portent aujourd’hui une réelle attention à leur équilibre alimentaire, d’après l’Office fédéral de la statistique. Quand le «père de la médecine» Hippocrate a établi un programme diététique, qui recommandait aux individus de sélectionner leur alimentation en fonction de leur tempérament, imaginait-il que le souci diététique se généraliserait au point de devenir une obsession collective?

«Notre société est marquée par l’expansion de la médecine dans tous les domaines, remarque Jean-Pierre Poulain, professeur de sociologie à l’Université de Toulouse, spécialisé dans l’étude des pratiques alimentaires. La nutrition n’est pas épargnée par cette tendance. Pour cette raison, les aliments sont de plus en plus consommés comme des médicaments, pour prévenir ou ralentir des maladies.»

Le discours officiel s’est lui aussi médicalisé. La pyramide alimentaire et les «cinq fruits et légumes par jour» sont toujours d’actualité, mais les autorités mettent depuis peu l’accent sur les propriétés chimiques des aliments. «Pendant de nombreuses années, il a été recommandé de façon globale à la population de consommer moins de graisses, précise Steffi Schlüchter, diététicienne à la Société suisse de nutrition. Aujourd’hui, nous conseillons aux Suisses de choisir les huiles en fonction de leur apport nutritionnel.»

Des principes à respecter

A côté des lignes directrices tracées par les autorités, un flot de conseils diététiques divers et de plus en plus complexes submerge les consommateurs soucieux de leur santé. Parmi eux, des méthodes d’alimentation alternatives provenant des quatre coins du monde. Actuellement, les régimes les plus prisés par les Suisses sont le végétarisme, ainsi que les régimes végan et sans gluten. «Depuis ce printemps, il y a de plus en plus de végétariens qui viennent me demander des conseils, remarque Florence Morciano-Girard, diététicienne et auteur du site Nutriblog. Ce mode d’alimentation, traditionnellement davantage apprécié des femmes, convainc aujourd’hui aussi les hommes et les sportifs.»

Les spécialistes de la nutrition considèrent que les régimes alternatifs comme l’ayurvédisme ou le slow food ne sont pas dangereux pour la santé des adultes, tant que les carences provoquées par l’exclusion de certains aliments sont compensées. Une démarche qui peut s’avérer plus compliquée si l’on adopte un régime végan ou sans gluten. Steffi Schlüchter met en garde: «Les régimes alimentaires qui ne respectent pas les règles de la pyramide alimentaire peuvent être dangereux pour le développement et la santé des enfants.»

Prévention des cancers et des maladies cardiovasculaires

Chez l’adulte en bonne santé, les recherches indiquent que s’abstenir de manger de la viande pourrait rallonger l’espérance de vie. Les végétariens présenteraient ainsi 12% de moins de risques de mourir que les carnivores, selon la conclusion d’une récente étude menée par des chercheurs de l’Université de Loma Linda, en Californie. Un régime alimentaire dépourvu de viande rouge diminuerait les risques de développer des maladies cardiovasculaires. La consommation à haute dose de fibres et de vitamine C liée au végétarisme serait un deuxième facteur permettant d’expliquer la résistance de ceux qui ne mangent pas de viande face aux maladies dégénératives.

Cette recherche n’est pas isolée. Le régime Dietary Approaches to Stop Hypertension (DASH), développé en 1997 par la Société médicale du Massachusetts, démontre qu’une alimentation pauvre en graisses, en viande rouge et en sucres permet d’éviter l’hypertension. «L’alimentation joue incontestablement un rôle dans la prévention des cancers et des maladies cardiovasculaires, explique François Herrmann, médecin adjoint agrégé au Service de gériatrie des Hôpitaux universitaires de Genève. Par exemple, l’acrylamide qui se dégage lorsque l’on brûle de l’amidon est un cancérigène potentiel. Ce composant chimique se trouve dans les chips, les frites et le pain riche en matières grasses. Cependant, l’espérance de vie est aussi influencée par d’autres facteurs, comme l’héritage génétique, l’activité physique, le niveau socioéconomique et le climat.»

Entre conseils et intuitions personnelles

Reflétant notre société individualiste, le choix d’une méthode d’alimentation devient de plus en plus vaste et personnalisé. Chacun fabrique en quelque sorte son régime personnel en fonction de son mode de vie et de ses valeurs. Les régimes généralistes rigides sont désormais bannis par les professionnels, qui proposent des approches valorisant chaque individu avec ses spécificités psychologiques, culturelles et physiques: «Chacun a des besoins énergétiques, des goûts et un train de vie différents; un régime bénéfique pour une personne le sera moins pour une autre, explique Séverine Chédel, diététicienne au sein du cabinet Espace Nutrition, à Neuchâtel. Nous donnons donc des conseils de base, mais nous encourageons surtout nos clients à écouter leur propre corps, à réapprivoiser leur appétit et leurs envies.»

La multiplication des méthodes d’alimentation présente aussi son revers. «Les courants diététiques qui ne se basent pas sur des preuves scientifiques se multiplient, relève Séverine Chédel. Mes clients sont parfois perdus et ne savent plus qui croire. Ils sont de plus en plus nombreux à venir faire des bilans de santé car, sur l’internet ou dans les médias, il existe un trop plein d’informations nutritionnelles, qui sont parfois contradictoires.» D’où l’émergence des coachs en nutrition, dont l’approche est plus personnalisée que celle des diététiciens: ils accompagnent leurs clients au supermarché, les aident à composer leurs menus et à cuisiner.

L’écologie au menu

Une autre obsession s’ajoute de plus en plus à celle du manger sain: celle du manger écolo. En réaction aux scandales alimentaires et à l’empreinte écologique provoquée par l’élevage du bétail, de nombreuses personnes adoptent un mode de nutrition végétarien, plus par conscience écologique que par souci de santé. Avaler des produits sains ou biologiques relève d’un acte social visant à garantir la survie de la planète et celle des générations futures. Dans certains milieux bobos, cette conscience se mue en pression sociale. Lorsqu’on choisit du poisson, il faut prouver qu’il est labellisé. Lorsque c’est du fromage, il faut qu’il soit local.

«Il faut différencier deux tendances: manger pour soi, pour améliorer sa santé, et manger pour les autres, pour l’environnement», explique le professeur Jean-Pierre Poulain. A noter qu’il n’a pas encore été prouvé scientifiquement que les légumes bios soient plus sains que les non bios. Manger sain, en 2013, c’est vraiment devenu compliqué.

(collaboration: Geneviève Ruiz)
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Les nouveaux régimes les plus prisés

Le véganisme

Le régime végan est à la mode. Il est même devenu un argument marketing pour les supermarchés, qui étiquettent certains produits «végan». Il s’agit d’une forme de végétarisme radicale, qui exclut tout produit d’origine animale (y compris les produits laitiers ou le miel). Pour compenser le manque de protéines animales, les végans consomment des noix, des pousses, des graines, des lentilles ou du quinoa. Pour les professionnels, ce régime ne pose pas de problèmes aux adultes en bonne santé s’ils disposent de connaissances diététiques suffisantes. Cependant, il est dangereux pour les enfants, qui peuvent souffrir de carences en fer, en zinc et en calcium notamment.

Le jeûne intermittent

Depuis le début de l’année 2013, le jeûne intermittent fait le buzz, notamment après la parution de l’ouvrage anglais The Fast Diet de la journaliste Mimi Spencer. L’idée phare de cette méthode consiste à jeûner un certain nombre d’heures ou de jours par semaine. Ne pas se nourrir apporterait des bénéfices pour la santé, comme la perte de poids, la diminution du risque d’accident cérébral, une meilleure résistance au stress, ainsi qu’une aide dans la lutte contre certains cancers. Les médecins sont loin d’être d’accord sur ces derniers points, la majorité d’entre eux estimant que le jeûne n’apporte pas d’effets positifs au corps humain.

La cure détox

Très prisés des stars hollywoodiennes, les régimes «détox» se font à certaines périodes de l’année, idéalement au printemps ou après une période d’excès. Leur objectif n’est pas tant de perdre du poids que de nettoyer et régénérer l’organisme, «pollué» par les toxines dues au stress, au tabac, à l’alcool et aux pesticides. Les cures de détox peuvent s’effectuer en un jour ou en plusieurs semaines et comportent une foule de recettes différentes. En général, il s’agit de boire beaucoup, notamment des tisanes spécifiques, de manger léger, souvent végan ou cru, et de limiter les activités stressantes. La cure peut se faire en institut ou à domicile. A noter que parmi les professionnels de la santé, beaucoup considèrent que ce n’est pas en quelques jours que l’on purifie son organisme, l’idéal étant de ne pas s’exposer aux éléments polluants et de manger sainement sur le long terme.

L’ayurvédisme

La diététique ayurvédique gagne de plus en plus d’adeptes. Et elle est particulièrement prisée lors d’étapes délicates, comme les chimiothérapies ou les six semaines qui suivent un accouchement. Depuis peu reconnu par l’OMS, l’ayurvédisme est un ensemble de procédés de guérison qui existe en Inde depuis cinq mille ans. L’aspect diététique ne représente qu’un élément de ce système et il n’a rien à voir avec la façon occidentale de considérer la nourriture: les aliments ne sont pas classés en fonction des nutriments qu’ils contiennent mais selon leurs qualités et leur goût. L’ayurvédisme distingue donc les aliments doux, salés ou piquants et les aliments «purs», comme les fruits ou les céréales, qui régénèrent la santé; les aliments «stimulants», comme les viandes ou les poissons, qui favorisent l’activité; ou les aliments «ignorants», comme les chips ou les plats préparés, qui accentuent le vieillissement.

Le slow food

A l’origine, le slow food est un vaste mouvement social fondé par l’Italien Carlo Petrini en 1986 et qui possède son siège à Turin. Reconnu par l’ONU, il est désormais présent dans une centaine de pays. Mais le mouvement va bien au-delà de ses membres, qui promeuvent la défense de la biodiversité, l’éducation au goût et un rapprochement entre consommateurs et producteurs. La diète préconisée par le slow food est simplement celle du bon goût, de la cuisine préparée maison avec des produits locaux et frais. Un régime qui, pour ses adeptes, permet de rester en bonne santé tout en ayant du plaisir. Et qui, s’il n’est pas excessif, est approuvé par les diététiciens et par la recherche scientifique: il est prouvé que les personnes qui cuisinent elles-mêmes leur repas et prennent le temps de le savourer ont moins de risques de surpoids.

Le crudivorisme

Si les origines de l’alimentation à base de crudités remontent au paléolithique, elle a été remise au goût du jour au début des années 2000 et le nombre de ses adeptes ne cesse de croître. Ils se nourrissent donc exclusivement d’aliments crus qui n’ont subi aucune transformation, à l’exception du séchage, de la germination et de la fermentation. La viande et le poisson sont autorisés, tant qu’ils ne sont pas cuits. L’objectif des crudivores est de perdre du poids, d’éliminer les toxines, d’avoir plus d’énergie et de vivre plus longtemps en bonne santé. Si les études montrent des pertes de poids significatives chez les crudivores, elles révèlent aussi des carences en bon cholestérol, en calcium, en zinc et en vitamine D. Ce régime induit également une aménorrhée chez certaines femmes. Quant à la teneur plus élevée des aliments en nutriments lorsqu’ils sont crus, si elle est avérée pour certains légumes, elle ne l’est pas pour tous: les tomates contiennent par exemple plus d’antioxydants après cuisson.

Le thali

Typique du sud de l’Inde, ce plat est composé de plusieurs mets, de différentes saveurs et textures, respectant d’antiques règles diététiques.

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«Les régimes sont problématiques»

Richard Béliveau, docteur en biochimie et chercheur en cancérologie, est une référence mondiale en matière de nutri-prévention. Ses livres «Les aliments contre le cancer» et «La santé par le plaisir de bien manger» sont des succès internationaux. Entretien.

Quels sont les préceptes d’une alimentation saine?

On peut manger presque de tout, en quantité raisonnable. Il faut réapprendre à se faire plaisir, à opter pour des plats préparés avec des produits variés. L’appauvrissement de la diversité dans l’alimentation est un réel danger, et l’alimentation industrielle un problème majeur pour la santé publique. Avec ce mode de vie, nous avons réduit drastiquement notre consommation de végétaux. L’équilibre physiologique qui gère notre santé est ainsi fragilisé, nous rendant plus vulnérables face aux maladies chroniques.

Faut-il suivre un régime particulier pour être en bonne santé?

Les régimes sont problématiques. Ils provoquent souvent de nombreuses carences et se révèlent sans effet à long terme sur la surcharge pondérale. Plutôt que de priver son corps des nutriments essentiels à son bon fonctionnement, il faut plutôt changer ses habitudes culinaires en introduisant de nouveaux aliments, en consommant davantage de produits d’origine végétale, qui possèdent des propriétés uniques.

Quels sont leurs bienfaits?

Leur «chimiodiversité». Les végétaux se défendent contre leurs agresseurs en produisant des milliers de molécules et, parmi celles-ci, certaines sont antiinflammatoires, antioxydantes ou anticancéreuses. Par exemple, trois portions par semaine de légumes crucifères — de la famille des choux — réduisent de 50% les cancers de la vessie. Les études réalisées avec le thé vert ont par ailleurs démontré une réduction de 57% du cancer du côlon. Et un travail mené sur plus de 80’000 personnes a récemment conclu que, en mangeant davantage de légumes verts, les hommes diminuent de 75% le risque de développer un cancer du pancréas. Quand on parle de produits à base de plantes, au-delà des fruits et des légumes, il faut inclure les épices, les aromates, le thé et d’autres aliments comme le chocolat.

Faut-il éliminer la viande rouge de nos assiettes?

Une étude effectuée sur 500’000 sujets montre, sans ambiguïté, une augmentation linéaire de la mortalité dès 20 grammes de viande rouge par jour. Elle doit donc être consommée avec modération. Tout est une question d’équilibre. Etre végétarien est une option certes valable, mais ce n’est pas une solution miracle. Les viandes apportent de la saveur aux plats, l’umami en japonais, qui relève le goût des végétaux qui les accompagnent. Elles permettent ainsi d’en augmenter notre consommation.

(propos recueillis par Jade Albasini)
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.