LATITUDES

Un sosie numérique pour une médecine personnalisée

Des avatars permettront bientôt de dupliquer nos données médicales et de procéder à des tests de traitement sans risques. Explications.

Il serait fumeur ou végétarien, blond, brun ou chauve, aurait notre morphologie, notre code génétique implanté au cœur de ses cellules, nos séquelles d’accidents, nos pathologies en cours, et même notre histoire familiale. Il serait notre sosie parfait, en version numérisée. Son utilité? Elle serait double.

La première: permettre de visualiser en quelques clics l’ensemble de nos données médicales et résultats d’analyses pour faciliter la prise en charge médicale. La seconde: être le testeur des thérapies possibles pour soigner nos maux. Une fiction? «Peut-être aujourd’hui, mais pas pour longtemps», estime Denis Hochstrasser, chef du Département de médecine génétique et de laboratoire des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et vice-recteur de l’Université de Genève, pour qui le futur de la médecine personnalisée aura recours à de tels avatars numériques.

Cette conviction a motivé le médecin et chercheur genevois à orchestrer le volet suisse du projet européen «Flagship» IT Future of Medecine. L’ambition de ce programme: la création de tels modèles virtuels de patients. En lice avec cinq autres finalistes pour obtenir un financement de l’Union européenne à hauteur d’un milliard d’euros, ce vaste projet a échoué au pied du podium en janvier dernier. Il devrait malgré tout pouvoir se concrétiser: «Cela va se faire, même s’il est trop tôt pour annoncer une échéance, explique Denis Hochstrasser. Les choses commencent à se mettre en place, comme les pièces d’un puzzle.»

Le risque de passer à côté d’une information importante

Un certain nombre de technologies fonctionnent d’ailleurs déjà dans la pratique: des modélisations sont actuellement conçues par des entreprises spécialisées en technologie numérique, telle la société zurichoise Nhumi. Ces outils en ligne offrent notamment la possibilité d’enregistrer les renseignements relatifs à sa santé, et de les voir traduits à l’écran sur un corps virtuel en trois dimensions.

«Le fait de nous doter d’outils performants pour la visualisation des données constitue une absolue nécessité, explique Denis Hochstrasser. Dans le flot d’informations que nous recevons lors de la prise en charge d’un patient — échange avec le malade, examen clinique, résultats de ses bilans sanguins, radios, scanners, et examens antérieurs — comment ne pas craindre de passer à côté d’une information importante? Un autre avantage, avec de tels outils, est le risque réduit d’interactions médicamenteuses. Celles-ci résultent bien souvent de transmissions incomplètes d’informations au prescripteur, notamment pour les patients arrivant au service d’urgence ou suivis simultanément par plusieurs médecins.»

Prédire l’évolution d’une maladie

Outre la visualisation des données médicales, le projet « Flagship» IT Future of Medecine prévoyait un second volet, celui de la modélisation des pathologies et de leur évolution. Le tout via l’avatar numérique du patient. L’idée: pouvoir prédire l’évolution d’une maladie, mais également tester les traitements à disposition, avant que ceux-ci ne soient prodigués au patient.

«Prendriez-vous l’avion si l’on vous disait que le pilote ne s’était jamais entraîné sur simulateur de vol?, interroge Denis Hochstrasser. Probablement pas. Pourtant, nous devons nous rendre à l’évidence: c’est ce qui se passe dans la plupart des cas quand nous prescrivons un traitement. Je pense notamment aux chimiothérapies: seuls 20 à 40% des patients atteints de cancer réagissent positivement lors du premier traitement. La modélisation des tumeurs, associée à la physiologie, à la génétique et à l’environnement du patient, décuplera nos chances de lui proposer le traitement qui lui correspond le mieux, en termes d’efficacité et d’effets secondaires limités.»

Si de telles modélisations semblent encore relever de la science-fiction, la médecine personnalisée se dessine bel et bien. Ainsi, des simulations pour certains médicaments sont déjà réalisées: en analysant certains gènes et des enzymes présentes dans le foie du patient, il est aujourd’hui possible de prendre en compte la façon dont son métabolisme va intégrer le traitement et ainsi définir le dosage adéquat.

Les consultations génomiques menées au sein des grands centres hospitaliers vont encore plus loin. «De tels dépistages existent depuis dix ans aux HUG et sont en plein essor, mais pas encore assez répandus, note le médecin genevois. Nous en comptons 200 par an environ aux HUG. Pour une prévention optimale dans la population à risque, il faudrait en réaliser plusieurs milliers chaque année.»

De telles consultations profitent de progrès techniques incessants, notamment le séquençage à haut débit. En moins de deux heures, il est aujourd’hui possible d’obtenir un séquençage complet de l’ADN d’un individu. Un fait laissant entrevoir que d’ici peu, le génome du patient fera partie intégrante de son dossier médical, au même titre que son groupe sanguin ou ses clichés radiologiques. A terme, la science pourrait parvenir à intégrer la complexité de l’être humain et celle de pathologies comme le cancer, pour nous offrir de véritables avatars numériques, reflets dévoués et indéfectibles de nous-mêmes.