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L’angoisse de l’entreprenaute au moment du jackpot

Stephen L. Hansen vient de plaquer son boulot à la tête d’une société Internet, moins de 90 jours après être entré en poste. Ce n’est pas tant le chômage qui le préoccupe, mais un sentiment tenace de lassitude. Le problème de Stephen, c’est qu’il pourrait se consacrer à la pêche à la ligne jusqu’à la fin de ses jours.

Millionnaire, cet expert en finance est propriétaire d’une résidence à plus de deux millions de francs suisses (8 millions de francs français) sur le front de mer, à Alameda Bay, Californie. Il a l’intention de la faire démolir pour en construire une nouvelle, plus spacieuse. Sa Porsche avait déjà trois ans, alors il l’a changée contre une Ferrari à 255’000 francs suisses (1 million de FF). Fanatique de voile, Stephen Hansen concède, dans le Wall Street Journal Europe, que «les complets Armani ont mauvaise façon lorsqu’ils sont mouillés.»

Stephen Hansen, 43 ans, a fait fortune dans l’industrie du Web. Il occupait un poste de dirigeant chez GeoCities, la fameuse communauté en ligne rachetée en 1999 par le molosse Yahoo. Hansen détenait un gros paquet d’options sur les titres GeoCities. L’opération lui a rapporté 60 millions de francs suisses (240 millions de FF) en un jour. «Toute ma vie, on m’a répété la même chose: je dois travailler très dur pour assurer une vie confortable à moi-même, à ma femme et à ma famille. Et soudain, tout ça n’existe plus. C’est la panique totale.»

L’entreprenaute a grandi dans un quartier modeste de la région de Los Angeles. Sa mère était employée de bureau. Elle a élevé seule deux enfants. Stephen n’avait jamais imaginé devenir riche: «Je voulais juste être à l’abri du besoin.»

Son bac en poche, il entre comme comptable à la fiduciaire KPMG. Après 13 ans de service, il empoche un salaire de 165’000 francs suisses (660’000 FF) par an. Mais il souffre d’un sentiment de frustration: son employeur ne distribue pas de stock-options.

Stephen change donc de boulot. Universal Studios, un client de KPMG, l’engage comme directeur financier en 1992. Sa rétribution annuelle grimpe à 787’500 francs suisses (3,1 millions de FF). Avec ça, voiture de fonction, déplacements en avion privé, deux secrétaires et un bureau immense qui donne sur les studios hollywoodiens. A la pause de midi, il a droit à des tours gratuits sur le circuit à thème Jurassic Park.

Cette fois-ci, Hansen reçoit 12’000 stock-options. Mais elles ont été émises après la reprise d’Universal par Seagram et ne prennent aucune valeur. Déçu, il se remet à la recherche d’un emploi en 1997.

Un chasseur de tête l’approche à plusieurs reprises pour lui proposer un poste chez GeoCities. Novice sur le Web, il commence par décliner l’offre. Mais il se laisse convaincre par l’argument financier. Il ne gagne plus que 450’000 francs par an (1,8 million de FF) – une misère -, mais il obtient des options sur 337’500 actions.

A ce moment-là, la réussite de la compagnie est loin d’être assurée. GeoCities est une petite firme installée dans des locaux miteux à Santa Monica. Pour la première fois de sa vie, Hansen met des jeans pour aller travailler. «La société n’avait absolument pas de stratégie. Il fallait en faire quelque chose qui rapporte de l’argent. C’était le défi le plus effrayant que j’aie eu à affronter dans ma vie.»

En 1998, GeoCities affiche des pertes de 27,3 millions de francs suisses (100 millions de FF). Mais cela ne l’empêche pas d’entrer en bourse, en août de la même année. Cinq mois plus tard, bingo: Yahoo rachète GeoCities pour 7,5 milliards de francs en actions (30 milliards de FF). Grâce à ses stock-options, Hansen devient instantanément multimillionnaire. Crise existentielle.

L’«exec» n’a plus besoin de travailler. Doit-il arrêter? Habitué à des journées de 14 heures, il est perdu à l’idée d’avoir tout son temps devant lui. «Je n’avais jamais pris le temps de réfléchir à ce qui était important pour moi. J’avais l’impression d’être un équilibriste sans filet.»

Hansen a pensé se présenter aux sélections pour l’équipe américaine olympique de voile, ou à s’acheter un bateau encore plus grand que son catamaran de 5,4 mètres. Mais il préfère reprendre la tête d’une entreprise.com. C’est ainsi qu’il entre chez Tonos, une start-up de l’industrie musicale. Il la quitte trois mois plus tard. «Dans l’industrie du Net, il est stupide de rester au mauvais poste plus de 90 secondes», commente-t-il. Après avoir quitté Tonos, il part concourir aux championnats de voile d’Australie.

Hansen prépare maintenant le lancement de sa propre entreprise, avec un ancien collègue de GeoCites. Une compagnie de capital-risque et de conseil pour entreprises actives sur le Net. «Etre indépendant, c’est la réalisation d’un rêve», dit-il. Dans son propre intérêt, on ne peut que souhaiter à Stephen Hansen de ne pas réussir trop rapidement…