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D’Alema démissionne, l’Italie bifurque à droite

Au delà de la démission – refusée – de Massimo D’Alema, la victoire de la droite berlusconienne aux élections va poser de sérieux problèmes de moralité politique à la Péninsule.

Dimanche soir déjà, ceux qui ont suivi la soirée électorale organisée par RAI Uno n’ont pu écarter le sentiment d’assister à une fin de règne. Les résultats étaient encore incertains, mais il apparaissait clairement que le centre-gauche de Massimo D’Alema était en pleine déconfiture. Une déconfiture sanctionnée lundi soir par la démission du président du Conseil. Le président de la République, Ciampi, l’a certes refusée en renvoyant le gouvernement devant le parlement à la recherche d’un vote de confiance: cela ne masque en rien l’échec de ce gouvernement et sa condamnation par les électeurs.

D’Alema, le premier chef de gouvernement italien issu du défunt Parti communiste italien, entrera dans l’histoire comme l’exemple même de l’échec d’une ambition. Il fut porté au pouvoir par un pronunciamento parlementaire, le ralliement au centre-gauche des amis de Francesco Cossiga, ex-cacique démocrate-chrétien et ancien président de la République qui n’a jamais rien eu à voir avec la gauche.

Depuis, D’Alema s’est lové dans son fauteuil de président des ministres au point d’oublier que, pour y rester, il fallait abattre plus de besogne encore que pour y arriver. Or la seule réforme notable qui ait franchi les frontières italiennes ces derniers mois est le port du casque imposé au conducteurs de scooters. Charmant! La nouvelle bourgeoisie rouge protège ses rejetons…

Plaisanterie mise à part, nous avons assisté au cours de l’année dernière à un formidable refus de faire de la politique de la part du gouvernement. Les réformes péniblement ébauchées au début des années 90 se sont évaporées: les mafieux sont sortis de prison par dizaines parce que la justice est un monstre d’incapacité et d’immobilisme, la corruption a repris de plus belle au fur et à mesure que les magistrats gênants pour les corrompus étaient dirigés sur des tâches subalternes ou honorifiques, les grandes promesses d’introduction d’un fédéralisme concret sont restées lettres mortes, à part justement l’élection des présidents de régions au suffrage universel qui, dimanche, s’est retournée contre le gouvernement.

Il y a plus grave: le système électoral est toujours bloqué. Les réformes qui devaient introduire deux grands partis alternatifs ont été dévoyées de telle manière que jamais les partis n’ont été aussi nombreux: il existe certes deux grandes coalitions ayant vocation à gouverner, mais, en leur sein, la marge de manœuvre des petits partis est telle qu’ils en arrivent à imposer plus que leur point de vue aux deux colosses que restent les Démocrates de gauche de D’Alema et Forza Italia de Berlusconi. Dernier exemple en date: le poids prépondérant acquis par la Lega Nord d’Umberto Bossi dans la coalition de droite.

Sans Bossi, Berlusconi n’est rien. Or Bossi est le plus fantasque des hommes: il y a deux mois à peine, la Lombardie était encore couverte d’affiches de la Lega traitant Berlusconi de parrain suprême de tous les mafieux de la péninsule! En outre, personne n’a oublié qu’il y a six ans, Bossi et Berlusconi avaient gagné des élections ensemble et que c’est Bossi qui, abandonnant le gouvernement après quelques mois, avait fait chuter le magnat de la télévision.

Une image particulièrement emblématique frappait les Italiens dimanche soir: le sourire triomphant de Roberto Formigoni, fondateur du mouvement Communione e liberazione (fer de lance quasi intégriste du Vatican dans sa reconquête des jeunes catholiques) vainqueur de l’élection en région lombarde par plus de 62% des voix contre Mino Martinazzoli, vieux cheval de retour de la démocratie-chrétienne recyclé par la coalition de centre-gauche au titre de son engagement chrétien-social. Formigoni est loin d’être un homme neuf, mais que la gauche envoie dans l’arène un ancien (et discrédité) secrétaire national de la DC pour prendre la tête de la région la plus puissante et la plus riche d’Italie en dit long sur ses compromissions.

Pour le moment deux leçons s’imposent :

Les anciens communistes ont réussi leur mutation en surface, mais ne sont pas encore capables de présenter un programme dynamique apte à susciter un nouvel engouement militant. Ils occupent le pouvoir et ses allées dans une grande solitude. Leur maintien dans les régions traditionnelles de la gauche, au centre du pays, témoigne plus de leur conservatisme (sauvons les acquis!) que de leur esprit d’innovation.

Sur le plan européen, la victoire de la droite berlusconienne va poser de sérieux problèmes de moralité politique. Silvio Berlusconi est lui-même l’objet de plusieurs procédures pénales ce qui le rend moins fréquentable, à tout prendre, qu’un Haider qui n’a pas commis de délits. Jusqu’à présent, il s’en est sorti en jouant des recours, mais un juge quelconque peut le faire trébucher demain.

Umberto Bossi est lui-même le prototype d’un Haider transalpin et pratique un racisme de bas étage qui, en Suisse, lui aurait déjà valu les foudres de l’article 261bis du code pénal. Mais la victoire de la droite est aussi due à un allié dont elle s’est peu vantée: Pino Rauti, fasciste de son état, dirigeant du MSI maintenu. Il faudra connaître le détail des résultats pour connaître son poids politique, mais son MSI était officiellement allié à Berlusconi dans quatre régions du Mezzogiorno.

Que fera l’Europe par rapport à cette droite-là si demain elle emporte des élections anticipées?