LATITUDES

«Point it», l’esperanto du touriste moderne

C’est l’histoire d’un petit livre d’images qui s’est déjà vendu à près d’un demi-million d’exemplaires. Le préservatif figure en page 44.

Le touriste n’a jamais eu besoin de connaître la langue du pays qu’il visite. Quelques rudiments suffisaient. Désormais, même ces rudiments sont devenus superflus. On emporte le livre «Point it» dans une poche et on l’en ressort à chaque fois qu’une communication devient nécessaire.

Pas plus grand qu’un passeport, ce «dictionnaire sans mot» réunit 1200 photos classées en quatre catégories: nourriture, hôtel, transport et shopping-divertissement. En posant le doigt sur une image, on parvient à exprimer une idée sommaire, du genre: «je veux du poulet rôti», «apportez-moi un spray anti-moustiques» ou encore «je cherche une laverie automatique». En bonne Suissesse, je relève toutefois un oubli de taille: on n’y trouve pas trace d’une banque.

«Point it» a été inventé par Dieter Graf, un architecte allemand qui l’a édité à compte d’auteur. Passé inaperçu dans le monde francophone, le livret en est à sa sixième édition et s’est déjà vendu à près d’un demi-million d’exemplaires. «Avec le passeport, la brosse à dent et la carte de crédit, «Point it» devrait appartenir à l’équipement standard de tout voyageur», a écrit la Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Il serait exagéré de dire que les images de «Point it» déclenchent une irrépressible envie de prendre le large. Les objets sont laids, photographiés sur un fond bleu pâle ou beige qui fait penser à la vitrine d’un magasin soviétique. Mais il paraît que ça marche: «Tout le monde comprend des images, écrit l’auteur dans la préface. Avec ses 1200 objects (sic), ce petit livre est le fruit de mon expérience autour du globe. Depuis sa création, son aide a été précieuse à des milliers de voyageurs.»

Est-il révolu le temps où un voyage à l’étranger suscitait l’envie d’apprendre quelques rudiments de la langue du lieu? Que penser de cette incitation à une découverte muette du vaste monde? Pour ma part, si j’étais condamnée à ne communiquer qu’avec des illustrations, je préférerais partir munie de «L’imagier du Père Castor» plutôt qu’avec ces photos ternes et rebutantes.

Assiette de frites, camping-car, ambassade des Etats-Unis: ces images qui n’ont rien de dépaysant composent le parfait esperanto touristique. Comment dit-on «c’est merveilleux» avec «Point it»?