Le président Mugabe a placé son pays dans une crise d’une gravité extrême, qui pourrait marquer la fin de l’Afrique post-coloniale.
Chacun a sous les yeux, tous les jours depuis une semaine ou deux, les images atroces d’habitants de l’Ethiopie en proie à la famine. Images d’adultes squelettiques, de nourrissons décharnés et ballonnés.
Plus que par des fléaux naturels, la famine est produite par les hommes: pour des raisons trop longues à rappeler ici, l’Ethiopie vit en état de guerre depuis des décennies et la chute de la dictature n’a même pas permis le retour à une économie de paix puisque les armes utilisées contre le négus puis contre Mengistu ont immédiatement été retournées contre le voisin érythréen.
Le Zimbabwe qui vit aujourd’hui une crise d’une gravité extrême ne ressemble en rien à l’Ethiopie et aux pays miséreux de la Corne d’Afrique. Mais tout indique que si le président Mugabe et ses amis ne reviennent pas vite à de meilleurs sentiments envers la minorité de colons blancs qui a décidé, il y a vingt ans, de jouer la carte de la collaboration avec le pouvoir noir, le pays sombrera dans une anarchie annonciatrice de pauvreté et de famines.
Pourquoi? Parce que quelques milliers de colons exploitent de manière intensive près des trois quarts des terres arables du pays. Grandes plantations de tabac, de canne à sucre, de coton. Le Zimbabwe vit non seulement à sa faim, mais il exporte. Il est un des piliers économiques de l’Afrique australe.
Depuis 1987, quand Mugabe (premier ministre depuis l’indépendance conquise en 1980) s’est fait élire président à la suite d’un accord politique avec l’opposition dirigée par un autre leader noir, Nkomo, le pays a bien fonctionné. Il a même servi d’exemple, notamment aux Sud-Africains en lutte contre l’apartheid.
Aujourd’hui, après 20 ans de pouvoir, le président Mugabe est en perte de vitesse. En février, il a perdu un référendum. En mai auront lieu des élections législatives. Dans le seul but de se maintenir au pouvoir, il a déclenché la semaine dernière une crise artificielle en ordonnant la séquestration des terres possédées par les colons blancs et en autorisant le mouvement des vétérans de la guerre d’indépendance à aller squatter ces fermes.
Si ces squatters ne sont pas contraints au repli, c’en est fini de l’agriculture zimbabwéenne. Tout simplement parce que les vétérans n’ont pas les moyens économiques ou culturels de maintenir les grandes exploitations. Ce sont des pasteurs que leur propre culture pousse à nomadiser, en poussant les troupeaux de friches en friches. Ces méthodes n’étaient pas très efficaces quand la population était peu nombreuse, mais aujourd’hui, avec l’urbanisation, elles sont tout simplement catastrophiques, ouvrant la voie à la paupérisation et à la famine.
Jusqu’à la semaine dernière, la sagesse politique de Mugabe était de n’avoir rompu ni avec les colons (du moins ceux de bonne volonté qui ont joué le jeu de l’indépendance) ni avec l’agriculture industrielle. Cet équilibre paradoxal a permis à l’ancienne Rhodésie d’apparaître comme un îlot dans une Afrique en proie à la désintégration.
Le conflit qui s’annonce va déstabiliser toute l’Afrique australe déjà flanquée de deux Etats moribonds, l’Angola et le Mozambique. Le nivellement par le bas de l’Afrique postcoloniale sera alors achevé. Et tout le continent sera en proie à la guerre et à son sinistre cortège de misères. Et de famines.
