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Mon iPad m’accompagne au bureau

Toujours plus d’entreprises offrent à leurs employés la possibilité d’exploiter leur matériel informatique privé dans le cadre de leur travail. Avec quel impact sur la productivité et la sécurité?

large040712.jpgLes responsables informatiques sont rarement populaires dans les entreprises. Avec leur phobie des intrusions et du nom respect des protocoles, ils interdisent systématiquement l’utilisation du matériel personnel des employés, et prônent la standardisation des machines au sein de l’entreprise (mêmes ordinateurs et mêmes programmes pour tous les employés) afin de faciliter la gestion du parc informatique, d’uniformiser la formation du personnel et de maîtriser la sécurité des données.

Mais voilà, ce modèle commence à disparaître, sous l’impulsion d’employés de plus en plus désireux de bénéficier au travail de leurs outils informatiques privés. Une tendance aujourd’hui désignée sous le terme «Bring your own device» (littéralement : apportez votre propre matériel) ou BYOD. Comme son nom l’indique, cette nouvelle approche consiste à permettre aux employés d’utiliser leurs appareils personnels (laptop, tablette ou smartphone) sur leur lieu de travail pour y effectuer des tâches professionnelles.

Selon une étude menée aux Etats-Unis par l’entreprise informatique Cisco, l’approche du BYOD permettrait une meilleure productivité et une plus grande satisfaction au travail. L’étude en question, menée auprès de décideurs, affirme par ailleurs que ces derniers seraient prêts à payer jusqu’à 600 dollars de leur poche pour pouvoir travailler sur les appareils de leur choix. Une autre étude de Cisco confirme qu’il s’agit certainement d’une tendance lourde: selon cette enquête, quatre diplômés universitaires sur cinq souhaitent aujourd’hui pouvoir choisir leur matériel informatique sur leur place de travail.

En Suisse, la Poste fait partie des grandes entreprises pionnières en la matière. Les employés du géant jaune peuvent en effet déjà utiliser leur iPad et smartphones privés pour consulter leurs emails ou documents professionnels. «Plus de 2500 de nos collaborateurs recourent déjà à cette option, relève Mariano Masserini, porte-parole de l’entreprise. Je possède moi-même un iPad que j’utilise aussi bien sur mon lieu de travail qu’à la maison. C’est une tendance appelée à se développer. L’utilisation des appareils mobiles prenant une place toujours plus prépondérante, on va vers une interpénétration des outils de travail privés et professionnels. Naturellement, des mesures de sécurité doivent être respectées. Des logins et des clés spécifiques sont nécessaires pour accéder aux documents professionnels.»

Au passage, les dirigeants de la Poste seront heureux d’apprendre que, selon une étude de l’institut américain Forrester, la productivité des utilisateurs de Mac en entreprise est supérieure à la moyenne.

Pour une petite entreprise, cette approche peut avoir comme avantage supplémentaire de faire baisser ses coûts. Si un employé souhaite utiliser son propre ordinateur au travail — souvent dans ce cas un modèle Apple — l’entreprise ne devra donc pas payer pour du matériel supplémentaire. Un calcul qui vaut surtout pour de jeunes start-up. Passé une certaine taille d’entreprise, le facteur sécurité l’emporte alors souvent sur tous les autres aspects, et nombreuses sont les sociétés qui préfèrent garder la maîtrise total de leurs parc informatique en interdisant tout matériel ou usage privé au travail. Une préoccupation bien compréhensible, notamment pour les sociétés qui traitent ou abritent des données sensibles.

C’est pourquoi la voie royale vers le «Bring your own device» généralisé passera certainement par une autre innovation, qui fait également beaucoup parler d’elle ces dernières années: le cloud computing, soit la décentralisation des ressources informatiques sur des serveurs extérieurs à l’entreprise. Dans ce cas de figure, les machines de l’entreprises n’hébergent plus aucun programmes ni données en local, et les applications sont accessibles via internet. «Dès lors que les ordinateurs des employés font simplement office de terminaux d’accès et que tout est décentralisé, il n’y a plus de raison de leur interdire d’utiliser leurs appareils personnels s’ils le souhaitent, estime Marco Ricca, directeur de la société genevoise Satorys, spécialisée dans la sécurité informatique. Cette délocalisation dans le cloud des ressources informatiques est aujourd’hui rendue possible par la largeur de la bande passante à disposition. Le risque n’est pas plus grand qu’avant, il change simplement de nature, fait remarquer le spécialiste. Au lieu de protéger plusieurs postes de travail, on protège uniquement le serveur délocalisé, mais on le protège beaucoup mieux.»

Ces solutions de virtualisation se posent aujourd’hui comme une alternative aux desktops physiques. Quelques entreprises pionnières ont franchi le pas; c’est le cas de la Fiduciaire du Léman (FDL) à Genève, qui a migré tous ses logiciels dans le cloud et délègue la gestion de ses ressources informatiques à une société spécialisée (lire l’encadré ci-contre). Le système a fait ses preuves, et même les programmes grand public traditionnels, tels que la suite Office de Microsoft, sont aujourd’hui disponibles en utilisation cloud.

Dans les plupart des PME, on préfère toutefois attendre que la tendance se développe encore avant de se lancer. «Il y a une résistance psychologique et une forte inertie liées aux habitudes, observe Marco Ricca de Satorys, pourtant ces solutions sont déjà très pertinentes. C’est particulièrement vrai pour une PME, qui n’a pas pour vocation à s’occuper de la gestion de ses systèmes informatiques.»
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TEMOIGNAGES

«Tous les programmes se trouvent sur un serveur délocalisé»
Laurent von Roth, directeur de la Fiduciaire du Léman (FDL), Genève

Chef d’une petite entreprise de 4 personnes, Laurent von Roth a choisi de migrer vers le cloud computing en déléguant intégralement la gestion des ressources informatiques de sa PME à une société spécialisée. «Tous les programmes et les données dont nous avons besoin se trouvent sur un serveur délocalisé. Ce qui apparaît à l’écran provient directement du serveur, on ne stocke rien en local. Du coup je n’emporte aucune donnée avec moi et je peux utiliser sans problème mon Mac pour un usage à la fois professionnel et privé. Il est possible de se connecter depuis n’importe où, aussi bien avec un PC qu’un Mac ou même un iPad. Tous les programmes de comptabilité et fiscalité dont nous avons besoin, mais aussi les logiciels standards telle que la suite Office de Microsoft, sont disponibles via le cloud. Avec ce système, nous n’avons pas à nous soucier de la mise à jour ou de la maintenance des programmes qui est effectuée automatiquement. Et surtout, le niveau de sécurité proposé est bien meilleur que si nous travaillions en local, avec notre propre serveur. Cet aspect est très important pour notre activité de fiduciaire. Auparavant, certains de nos ordinateurs n’étaient même pas reliés à internet pour des raisons de sécurité, et il nous fallait effectuer de multiples sauvegardes de nos données. Désormais, nous n’avons plus à nous soucier de ces questions. Cette prestation, facturée 200 francs par mois et par utilisateur, apporte une plus grande sérénité. Cela peut paraître onéreux mais tout est pris en charge par notre prestataire, y compris les machines et leur remplacement.»
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«Il faut offrir de la flexibilité aux employés»
David Sadigh, CEO de Digital Luxury Group, société genevoise spécialisée dans le conseil sur internet

A la tête d’une entreprise de 40 collaborateurs, David Sadigh prône la souplesse concernant le matériel informatique utilisé dans l’entreprise: «Nous fournissons évidemment un ordinateur à nos employés, mais s’ils veulent venir avec leur propre matériel, nous les y autorisons, moyennant quelques règles de sécurité. De façon générale, je crois que la flexibilité sur les lieux de travail va continuer à se développer. La nouvelle génération a pris l’habitude d’utiliser ses propres outils et elle ne veut plus se voir imposer un cadre trop rigide.» Pour David Sadigh, cette évolution va de pair avec les nouveaux usages d’internet et l’utilisation massive des réseaux sociaux: «Aujourd’hui, une entreprise qui bloque l’accès à Facebook, par exemple, ne pourra plus recruter un bon économétriste. Et de toute manière, interdire Facebook est absurde dans la mesure où les employés peuvent y accéder via leur smartphone. Il vaut mieux insister sur la notion de responsabilisation et offrir de la flexibilité.»
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«On permet à l’utilisateur de conserver son environnement»
Daniel Petitjean, responsable informatique au Grand Conseil valaisan

Le Grand Conseil valaisan fait œuvre de pionnier en mettant en place une plateforme informatique virtualisée à l’attention des députés du canton, comme l’explique Daniel Petitjean, qui pilote la mise en place du dispositif: «L’idée consiste à se passer complètement du papier, mais aussi à permettre à chaque député de conserver son matériel informatique, et donc son environnement de travail habituel. Toutes les données utiles sont stockées sur un serveur dans le cloud. Au total, environ 170 utilisateurs, dont 130 députés, auront accès à ce système actuellement en phase de test et qui sera complètement opérationnel en mars 2013. Concrètement, tous les députés auront la possibilité d’accéder à un serveur sécurisé à partir de leurs propres iPad ou iPhone, par exemple. Ce projet peut avoir valeur d’exemple pour une PME car nous sommes soumis aux mêmes risques», estime Daniel Petitjean. Le responsable insiste sur la liberté offerte aux députés en matière de hardware: «Nous leurs donnons un budget pour s’équiper mais ils sont totalement autonomes quant au choix de leur machine. Le terminal utilisé n’a plus aucune incidence puisque toutes les données sont stockées dans le cloud.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.