«Le label Swiss made actuel est aujourd’hui surtout défendu par des entreprises qui font du volume.» En cofondant la marque Hautlence il y a sept ans, le jeune horloger neuchâtelois Guillaume Têtu n’a pas hésité à se défaire du Swiss made, le sceau historique des garde-temps helvétiques, qu’il juge «obsolète». Ses produits se voient donc ornés d’une appellation propre: «Horlogerie Suisse». Les horlogers du Val-de-Travers, regroupés au sein de la fondation «Qualité Fleurier», ont quant à eux décidé de renforcer le Swiss made par leur propre certification.
Jean-Daniel Pasche, président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH), déplore la «définition très faible» du label dominant. Qu’on en juge: pour estampiller ses produits Swiss made, il suffit aujourd’hui à une marque de produire un mouvement à 50% suisse et de réaliser l’assemblage et le contrôle final sur sol national. «On trouve sur le marché des montres Swiss made comprenant seulement 20 à 30% de valeur suisse. Le boîtier, le cadran et presque tous les composants viennent d’Asie.»
Pour faire face à la perte de crédibilité du label et lui redonner ses lettres de noblesse, le Conseil fédéral a lancé le projet Swissness, visant notamment à élever les critères d’admission au Swiss made. «Une nouvelle ordonnance, remplaçant celle de 1971, qui fait foi aujourd’hui, prévoit un seuil de 60% de valeur suisse pour les montres électroniques et de 80% pour les montres mécaniques, explique Jean-Daniel Pasche. La notion de valeur recouvre les frais de recherche et ne concerne plus uniquement le mouvement.»
Mais cette réforme suppose que l’industrie suisse soit capable de fournir aux horlogers les boîtiers et cadrans, qui sont pour l’heure produits en masse en Chine. La marque Mondaine, notamment, a déjà évoqué des risques pour sa survie en Suisse, en raison des coûts de production plus importants entraînés par la nouvelle législation.
«Le renforcement des capacités de production de composants va créer de l’emploi industriel en Suisse, plaide pour sa part Jean-Daniel Pasche. Cela exige une adaptation des marques, et l’ordonnance sera accompagnée de mesures de transition.» Le président de l’association faîtière des horlogers estime que la nouvelle loi des 60% vise le «juste milieu», ne trompant pas le consommateur sur le produit qu’il achète et tenant compte des réalités économiques.
Guillaume Têtu, de Hautlence, ne partage pas cet avis: «Même en passant à 60% de valeur nationale, ce ne sera toujours pas un produit véritablement suisse. Certaines marques poursuivront ce qu’elles font déjà, à savoir fabriquer des composants en Chine et les faire assembler par des ouvriers albanais sous-payés au Tessin. Les marques de niche qui travaillent uniquement avec des artisans locaux n’ont pas besoin du Swiss Made.»
L’horloger plaide pour «plus d’honnêteté» dans le secteur horloger, à la manière de ce que fait Apple, qui labellise comme telles ses tablettes conçues en Californie et fabriquées en Chine: «Aujourd’hui, l’atelier du monde est la Chine, il faut l’assumer». Jean-Daniel Pasche remarque cependant que même les marques qui ont adopté d’autres labels continuent à utiliser le terme «suisse». Pour lui, le secteur doit faire bloc autour du renforcement du Swiss made: «Un nivellement par le bas affecterait la réputation horlogère de tous les acteurs suisses.»
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (1 / 2012).