Hollywood a remis ce matin ses récompenses annuelles. Une cérémonie conventionnelle dont Annette Bening est revenue bredouille et où la Suisse n’a pas été oubliée.
C’était une belle nuit. Trey Parker, coréalisateur de «South Park», portait la même tenue ultramoulante que Jennifer Lopez à la soirée des Grammys le mois dernier. Une vraie sensation. Il était en lice pour l’Oscar© de la meilleure chanson avec «Blame Canada», mais c’est finalement Phil Collins qui l’a eu pour «You’ll Be In My Heart», la scie du déprimant «Tarzan» de Disney. C’est dire l’ouragan d’anticonformisme qui soufflait sur la cérémonie.
Le sommet de l’audace alternative a été atteint avec le couronnement de Hilary Swank, jeune inconnue élue meilleure actrice pour son rôle de garçonne transexuelle dans «Boys Don’t Cry». Tant pis pour Annette Bening, enceinte de huit mois et qui menaçait d’accoucher en direct-live de la cérémonie: l’ex-potentielle first lady n’aura rien obtenu, alors qu’elle était l’unique contractuelle d’«American Beauty» à mériter un trophée. Sans ses rires hystériques de quadra névrosée, le film de Sam Mendes aurait paru mortel d’ennui théorique. Mais voilà, c’est la grande injustice de ces Oscars© 2000: à peu près tous les nominés d’«American Beauty» sont repartis avec une statuette sauf Mrs Bening, qui n’a que le trophée de son mari pour se consoler (Warren Beatty a obtenu l’Irving G. Thalberg Memorial Award For Career Achievement).
La moisson d’«American Beauty» était à prévoir puisqu’il s’agit d’un film juste assez sulfureux pour faire bander le grand public et réalisé d’une manière suffisamment conventionnelle pour ne pas l’effrayer. Cette histoire d’un père de famille excité par une collégienne offre une image naturellement tordue de l’Amérique contemporaine (on est rassuré d’apprendre qu’elle s’y est reconnue), dommage que la réalisation pompeuse du Britannique Sam Mendes lui ôte toutes ses aspérités.
Avec ce scénario subtil signé Alan Ball (son Oscar© est mérité, même si on aurait préféré Charlie Kaufman pour «Being John Malkovich), un bon réalisateur aurait pu faire des merveilles. Mais Mendes n’est pas un bon réalisateur, ni même un tâcheron, et surtout pas un habile technicien. Sa récompense est un pur scandale, surtout si l’on tient compte de la qualité des quatre autres nominations (le magnifque Spike Jonze, le solide Michael Mann, le prometteur M. Night Shyamalan et l’éternellement sentimental Lasse Hallstrom). Un simple coup d’œil à cette liste garnie d’un Suédois et d’un Indo-Américain démontre d’ailleurs que Hollywood n’échappe pas à la mondialisation des talents.
Dans la catégorie des interprètes masculins, c’est Kevin Spacey qui a remporté le pompon, toujours pour «American Beauty». On est en droit de se demander s’il va réussir à conserver son aura d’acteur le plus cool de Hollywood après cet adoubement consensuel par la profession. N’oublions pas qu’il y a un comédien terriblement ennuyeux qui sommeille en Kevin Spacey.
On passera rapidement sur les meilleurs rôles secondaires pusque tout le monde s’en fiche (Michael Caine et Angelina Jolie, bâillements) pour filer vers les récompenses techniques où «Matrix» a empoché les trophées du meilleur montage, du meilleur son, des meilleurs effets sonores et des meilleurs effets visuels. Un quarté amplement mérité si l’on mesure l’influence spectaculaire de «Matrix» sur la syntaxe des films d’action contemporains («Mission Impossible 2», de John Woo, en est paraît-il une pure resucée).
Plus près de nous, comme le disent les présentateurs de JT, on précisera que la Suisse n’a pas été oubliée au palmarès puisque c’est un citoyen helvétique, Arthur Cohn, qui est monté sur scène pour l’Oscar© du meilleur documentaire, «One Day In September». Grand habitué des récompenses hollywoodiennes, cet Arthur Cohn doit avoir un secret: c’est la 3654e fois qu’il est nominé.
A part ça, on aurait bien voulu que «Austin Powers 2» remporte l’Oscar© du maquillage (c’est «Topsy-Turvy» qui l’a eu), ou que «Sleepy Hollow» décroche celui de la photo, mais le pauvre Tim Burton a dû se contenter de la meilleure direction artistique.
La nouvelle la plus réjouissante de ces Oscars© 2000, c’est finalement la statuette du film non-anglophone («Non-English language film», texto) remise à Pedro Almodovar. Le réalisateur madrilène, qui a perdu sa mère peu après la sortie de «Tout sur ma mère», est enfin consacré à Hollywood, mère patrie du mélodrame. Emouvant. «Cette récompense a de l’importance pour nous, mais elle ne va rien changer au genre de film que je vais faire par la suite», a déclaré séchement le grand Pedro, tout de noir vêtu, à l’issue de la cérémonie. Nous voilà rassurés.
